La Clau
Avec Jordi Barre, c’est un certain Pays Catalan qui décède

Le décès de Jordi Barre, ce jeudi 16 février 2011, ne saurait se limiter à la disparition d’un grand homme, force de la nature, dont la traversée du temps, des époques et des modes, n’aura en rien perturbé la détermination artistique. Détermination à vivre par la musique et la poésie, qui l’auront amené à épouser les ambiances scéniques chères à Fred Astaire, dans les années d’avant-guerre, lorsque la société du Pays Catalan connaissait une forme d’insouciance, en particulier à Perpignan. De ses années jazzy 50-60, jusqu’à son duo avec le rappeur R-Can, enregistré en 2010 à Perpignan, Jordi Barre aura même exploité la veine pop et disco façon Abba, avec le groupe Pa Amb Oli, de 1979 à 1982, avant d’écrire et interpréter une cantate, « O món », en 1996.

Ce parcours exceptionnel, sans dispersion malgré ses contrastes, a eu pour fil directeur la terre de naissance du chanteur, devenu catalophone sur scène sur la fin de sa carrière. Surtout, au fil des bouleversements du XXe siècle et du début du XXIe, Jordi Barre a porté une mémoire populaire, issue d’une ancienne société nord-catalane entreprenante et soudée, massivement catalanophone. Cette société, dont l’acte de décès est désormais consacré, a muté depuis plusieurs décennies vers une nouvelle séquence historique, dont la composante permanente est le soleil. Ses excès ont été poétiquement décrits par l’artiste, dans une chanson de son entière composition, « La torra d’en Sorra ».

Depuis ce jeudi, la presse conventionnelle évoque largement la mort du chanteur « catalan », signe que le distinctif identitaire est devenu nécessaire, alors que les mêmes médias s’économisaient cet appendice dans les années 1990. Ce changement de temps, qui contient une réduction au simple rôle de communauté d’un « peuple catalan » dans les Pyrénées-Orientales, illustre à la fois le parcours de vie de Jordi Barre, et celui du territoire. Mais loin de toute considération sociologique, l’artiste « a pu faire ce qui lui plaisait », selon les mots du vieux poète et écrivain Jordi pere Cerdà, également né en 1920, recueillis ce jeudi. Comme cet autre témoin de changements de l’histoire accrus en Catalogne du Nord, Jordi Barre aura connu le temps d’une langue catalane banalement nécessaire pour communiquer avec tous, puis celui du catalan honteux, honni de l’Ecole et des sphères de prestiges, avant la séquence inconnue du présent, entre le souvenir effiloché et l’envie mesurée d’une timide reconquête culturelle et économique, portée par les lumières de Barcelone.

Entre-temps, lorsque « Georges », selon son prénom français, animait les bals avec ses orchestres, la langue catalane était majoritaire. Puis est venu le temps de « Jordi », comme pour accompagner sa disparition progressive dans les couches populaires.

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