La Clau
Jean-Marc Pujol : « le maire doit gérer la sécurité publique »

La Clau : Jean-Marc Pujol, votre naissance en tant que personnalité date du 1er décembre 2009, votre fiche Wikipédia faisant foi. Quel est l’avantage d’être maire sur le tard ?

Jean-Marc Pujol : C’est un choix politique. Lorsque je militais au Parti Républicain, les dirigeants m’ont proposé en 1986 de me présenter aux élections législatives à la proportionnelle, ce qui m’assurait l’élection, mais la condition était l’abandon de mon métier d’avocat fiscaliste. J’ai refusé, et n’ai pas obtenu l’investiture. En 2009, j’ai succédé à Jean-Paul Alduy (ndlr : maire depuis 1993) et cessé mon métier de dirigeant d’un cabinet d’avocats regroupant une centaine de personnes, car Perpignan, c’est un temps plein absolu. Je suis maire sur le tard, et heureux de l’être.

A propos de temps plein, vous réprouvez le cumul des mandats, dont les défenseurs, craignant de devenir des parlementaires « hors-sol », justifient le mandat local pour garder prise sur le réel…

Je m’y suis toujours refusé, en ne me présentant pas, malgré les sollicitations, aux élections législatives, cantonales et régionales. Il est impossible d’exercer une fonction de maire, président de Conseil général ou régional, en cumulant. Ou alors, le travail n’est pas fait. L’argument habituel est d’une grande hypocrisie, car un sénateur ou un député présent trois jours par semaine à Paris est totalement hors-sol, ce que ma propre famille politique, l’UMP, n’a pas encore tout à fait compris. Ma ligne est celle de Bruno Le Maire (ndlr : ministre de l’Agriculture de 2009 à 2012), car cumuler, c’est mal faire son travail. Dans la vie courante, peut-on cumuler trois emplois à salaire plein ? L’exemple doit venir des hommes politiques, sans compter que les grandes démocraties sans cumul obtiennent des résultats souvent supérieurs aux nôtres.

La sécurité est-elle réellement la préoccupation numéro un des Perpignanais ?

Oui, elle conditionne la continuité d’une vie pacifique et pacifiée. C’est une demande très forte, mais la République a oublié ce fondamental. Je constate que l’espace républicain est dégradé, déchiré. Il y a peu, on me disait, aux HLM Vernet-Salanque : « monsieur le maire, ce qui nous pose problème, ce sont ou sept ou huit personnes ». Au fond, cette problématique est celle de la France d’aujourd’hui. A Perpignan, il est anormal que des parents s’inquiètent pour leurs ados ou pré-ados, qui sortent en ville le plus naturellement du monde. Il n’est pas normal que des femmes soient inquiètes lorsqu’elles stationnent dans un parking. Il y a un problème, alors, je sais que la société est comme cela et que la situation économique influe sur l’ensemble, mais la République a une mission à accomplir. La prise à bras-le-corps de ce point est essentielle, on ne peut pas traiter par-dessus la jambe la situation de gens en pleurs, sinon, la politique ne sert à rien. Il faut avouer que les problèmes de sécurité sont mal traités, par les gouvernements de droite ou de gauche, car la sécurité publique, je dis bien publique, devrait être la compétence du maire. Que la police judiciaire, aux frontières et financière, relèvent de l’Etat, me paraît évident, mais l’espace public doit être la responsabilité du maire. Cela fonctionne aux Etats-Unis et en Catalogne : dans la proximité des situations, nous sommes plus précis. Il s’agirait de réformer, en rattachant aux maires les effectifs de la fonction publique policière nationale afférente à la sécurité publique. Il me paraît naturel que le maire décide de la fermeture d’un établissement de nuit qui ne respecte pas la réglementation ou gêne les riverains. Le maire devrait aussi choisir les zones à cibler en matière de sécurité, car nous vivons un paradoxe : la police municipale de Perpignan a un réseau de 150 caméras de vidéo-protection et des écrans de contrôle, mais la police nationale n’en a pas ! Nous lui fournissons régulièrement des images, mais, à l’évidence, il y a un problème administratif, qui conditionne l’efficacité des interventions. Il faut aussi une réponse pénale permanente envers les délits, car on ne peut pas laisser les personnes qui accumulent les agressions et les vols continuer leurs agissements.

Perpignan est dans le viseur d’un Front National désormais très médiatisé. Ses candidats Jean-Claude Martinez, Jean-Louis de Noell et Louis Aliot ont tous reçu la même mission, mais le dernier est le plus persistant, il s’y prépare depuis 11 ans. Perpignan, laboratoire FN, cela vous inquiète ?

Après avoir combattu ce parti lors de six élections, en tant qu’homme de droite, j’en conclus que son seul but est de faire battre des gens de droite. Pour moi, il s’agit d’un parti populiste, c’est un aspect qui me gêne, car c’est un parti attrape-tout, qui attire des électeurs de gauche aux seconds tours. Son programme ne peut conduire Perpignan et la France qu’à leur perte, mais il signale de vrais problèmes de société que les partis de gouvernement n’ont pas été capables de régler. Le fond du problème est là. Dès lors que la seule réponse donnée au Front National est l’anathème ou la stigmatisation, des personnes qui ne sont pas du tout FN croient entendre une solution à leurs préoccupations. Nous devons être capables de répondre à l’incertitude économique, au chômage, à l’insécurité. Nous, les partis républicains, avons abandonné une partie de la population sur ces trois fondamentaux. Le FN s’est nourri de notre propre défaillance, parce que nous n’avons pas donné d’explications claires. Du reste, je connais de près la situation de Toulon après le passage du FN à la mairie, de 1996 à 2001 : ce parti qui nous voit comme un laboratoire a géré Toulon de façon catastrophique, avec un directeur de cabinet assassiné, des élus mis en examen, un important détournement d’argent… Quel exemple peuvent-ils donner pour la gestion d’une collectivité ? Nous leur avons réservé un monopole sur le malaise économique, la tranquillité publique et le déclassement d’une partie de la population. Ces trois sujets sont essentiels, mais le FN ne peut être que décadence.

A Nice, le maire FN Jacques Peyrat a été recyclé par le RPR, devenu UMP. Où est la digue entre les deux partis ?

Vous remarquerez que désormais, des gens venus de gauche, comme Gilbert Collard et Robert Ménard (ndlr : ou l’agriculteur François Pelras, en Roussillon) se rapprochent du FN, alors que les anciens maires de Nice et Toulon venaient de la droite classique. Pour moi, la digue, ce sont les valeurs. Je suis le fils d’un courtier en vins qui s’est battu contre les nazis, avant de revenir à 22 ans, Grand Invalide de Guerre. Je veux parler des valeurs de tolérance, de respect de l’autre et de vérité. Or, le FN ment sur ces trois valeurs. Il ne faut pas refermer notre pays. C’est difficile, mais il ne faut pas. On ne va pas remonter les frontières, on ne va pas sortir de l’euro, tout cela, ce sont des fausses pistes. Avec 30.000 chômeurs et de très nombreuses situations alarmantes, dans notre département, on peut penser que ce parti va fournir une solution, mais il n’en a jamais apporté.

Votre mandat, de 4 ans et 5 mois, aura été celui du lancement du Centre d’Art Contemporain, mais pas celui d’un nouveau stade. En revanche, vous avez retouché le « logiciel Alduy » sur la circulation…

Les grands équipements ont été construits à Perpignan, avec ma contribution du temps des mandats de Jean-Paul Alduy, moi-même en tant que chargé de l’Urbanisme et des Finances. Dans le grand débat sur le Théâtre de l’Archipel, j’ai toujours défendu un bâtiment identitaire, et nous l’avons fait. En anticipation sur tout le monde, nous avons fait la gare TGV, que l’on critique parfois encore, sauf que nous sommes enviés par bien d’autres villes. Le fait de la tourner vers la Catalogne et l’Espagne est un signe fort. Mais j’ai personnellement choisi de ne pas faire le grand stade car son coût, de 95 millions euros pour 23.000 places, était trop important. J’ai considéré que la réhabilitation des stades Aimé Giral et Gilbert Brutus était suffisante. C’est sûr qu’un nouveau stade, ça fait plaisir, j’aurais pu le faire payer aux Perpignanais, mais les habitants de notre ville sont plus reconnaissants envers l’action de proximité, du devant de porte. Comme l’affirme le géographe Jacques Lévy, de l’école polytechnique de Lausanne, l’avenir sera fait de mondialisation et de proximité : sur ce principe que je partage, il faut utiliser l’argent des Perpignanais à du concret immédiat, et déplacer les grands matchs à Barcelone. Ensuite, au niveau de la circulation, il n’y avait jamais eu de plan de circulation à Perpignan, jamais, et il a fallu mener une réflexion de fond sur l’axe boulevard Clemenceau-Avenue du général de Gaulle. Avec Jean-Paul Alduy, nous avions la volonté d’y inscrire le bus en site propre, ce à quoi je n’ai rien changé, car les transports en commun sont l’avenir. En revanche, en observant certaines zones, j’ai préféré protéger des habitudes de circulation, pour ne pas contrarier les dynamiques du centre-ville. Mais la situation a changé, car, depuis avril dernier, la rocade nord-ouest déleste le centre-ville de presque 30 % de véhicules, avant l’achèvement de cette route, par l’Agglomération Perpignan Méditerranée. L’évitement du centre-ville permettra de circuler bien plus facilement.

Le libéral que vous êtes souhaite changer la fonction publique municipale. L’été 2012, pour obtenir une ville plus propre, vous avez suggéré la féminisation partielle du service de nettoiement, dont l’absentéisme atteint jusqu’à 19 %. Vous êtes déçu ?

Les fonctionnaires doivent s’adapter à l’évolution de notre société et ne peuvent plus être dans un circuit complètement fermé, étranger à l’économie. J’ai fait comprendre aux agents municipaux concernés l’intérêt de se remettre en question et d’être plus réactifs en matière de propreté. J’ai été entendu sur ce sujet. Mais le problème de fond est le statut de la fonction publique, qu’il faut complètement ouvrir. Pour la brigade féminine, je me suis simplement inspiré de ce qui se passe partout dans le monde, notamment chez nos voisins catalans. Aucune valeur péjorative en la matière, mais le souci de répondre aux préoccupations de la population, car l’absentéisme est surtout masculin. Être libéral, c’est briser les tabous, et le contribuable sait faire la part des choses. Un jour viendra où certains diront « le nettoyage des rues est déficient, il faut le confier au secteur privé ». Je pense donc que la fonction publique doit se remettre en cause si elle souhaite être efficace et continuer d’exister.

Comprendre Perpignan devient compliqué : faute de communauté dominante, quel est l’épine dorsale de la ville ?

Perpignan est une ville d’exilés, greffés autour du noyau catalan. Les réfugiés de la guerre d’Espagne et les rapatriés d’Algérie marquent fortement le territoire, car l’exil structure les personnalités. La troisième couche d’exil est celle des personnes venues du Maghreb, exilées économiques, comme les Irlandais partis aux Etats-Unis. L’identité catalane doit être le creuset de tous ces exils. On y parvient dans le domaine économique et celui des professions libérales, mais il faut encore convaincre entièrement de l’idée de vivre ensemble quelque chose de nouveau, car on ne refera pas l’Histoire.

Perpignan confond sa propre identité catalane et le domaine transfrontalier, qui exige du talent, impose d’âpres concurrences et économise les sentiments. Notre relation n’est-elle pas faussée avec Girona et Barcelone ?

La Catalogne est un espace économique et culturel de travail. Si cela reste limité à la culture, cela ne peut pas marcher, car on reste sur le folklore. L’ancien président du gouvernement catalan, Jordi Pujol, m’a dit un jour « De chaque côté de la frontière, ce qui compte, c’est le travail bien fait ». Inspirons-nous de cette idée, qui a créé la richesse de la Catalogne et renforcé les industries catalanes. Cela donne aujourd’hui Barcelone, une ville-monde, la seule qui ait surnagé en Méditerranée, contrairement à Gênes ou Marseille. Défendons cette tradition catalane du travail bien fait, servons-nous de cette identité pour la transformer en puissance économique. Aujourd’hui, lorsque j’apprends que 150 jeunes de notre département se forment en kinésithérapie à Gérone, je suis impressionné, car la Catalogne est désormais identifiée dans le monde, grâce à une contribution par le travail. Nous, nous avons eu le problème de la contribution par la rente, sur un territoire peu peuplé, agréable. Beaucoup de monde est venu, beaucoup d’exilés. A l’image de nos voisins, mettons-nous au boulot et prenons exemple. Dans ma jeunesse, la Catalogne du Sud était le Moyen Âge, les pauvres c’étaient eux. Aujourd’hui, c’est le contraire : passer la frontière, c’est arriver dans un autre monde, et cela m’inquiète, nous sommes complètement dépassés. Le déclassement de notre pays, de notre département et de notre ville est très net face aux évolutions de la Catalogne, où l’économie prend une part prépondérante, comme dans le monde entier. Que voulons-nous ? Sans prendre part à l’économie, nous resterons un endroit où il fait bon vivre, pour ceux qui le peuvent, mais le soleil, la mer et la montagne ne suffisent pas, il faut du travail et de l’activité économique. Toute mon action tend vers cela.

Entretien Esteve Valls.

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