La Clau
Les montres molles de Dalí, pour la première fois à Figueres

L’histoire des montres molles de Dalí, de leur nom officiel « La persistance de la mémoire », est celle d’une itinérance, majeure dans la vie personnelle de Dalí. Cette modeste huile sur toile de 24×33 cm, conçue en 1931, en deux temps, à Cadaqués, n’avait jamais revu la Catalogne. Depuis le 16 janvier, la Fundació Gala-Salvador Dalí l’accueille dans la salle dite “Cuant cau, cau” de son célèbre Théâtre-Musée, en provenance du Musée d’Art Moderne de New York, dans le cadre des échanges permanents avec les institutions artistiques les plus prestigieuses du monde, qui permettent de temps à autre d’abriter à Figueres (abusivement, nous serions tentés de dire « rapatrier ») des œuvres emblématiques de l’enfant de la ville, qui a inauguré lui-même son musée en 1974. Cette « persistance » émane du volcan surréaliste, en pleine révolution dalinienne : l’artiste, avant la période d’exhibition médiatique de ses états d’âme, qui explose 30 ans plus tard, est en révolution personnelle. Un projet de suicide en 1930 et la rencontre décisive avec sa future épouse, Gala, sont deux signes de cette phase qui précède en 1932 son triomphe à la première exposition surréaliste américaine et l’avènement de la diffusion de la méthode paranoïaque-critique, terrifiante de sagesse ou magnifique en imposture, dans un débat qui reste ouvert. A peine sec, ce tableau a débuté sa carrière en France, à la galerie Pierre Colle de Paris, y a été acquis par le galeriste newyorkais Julien Levy, qui l’a fait voyager jusqu’à New York, avant un périple par plusieurs musées américains et une fin de course, en 1934, pour 400 dollars, au sein des collections permanentes du Museum of Modern Art de New York

Tableau troublant et éculé

Le temps passé depuis et la grande qualité technique de « La persistance de la mémoire » ont créé une image évidente, désormais intemporelle, culte et commerciale, géniale et envoûtante, indispensable, enfin, à l’art du XXe siècle. Dalí a créé cette œuvre à l’âge de 27 ans, en imposant d’abord un paysage des rochers du Cap de Creus, très probablement de Portlligat, pays à part entière à propos duquel le maître, pourtant originaire de la ville de Figueres, affirmait «Je suis construit entre ces pierres, j’ai forgé ici ma personnalité, j’y ai découvert mon amour, j’y ai peint mon œuvre, j’y ai construit ma maison. Je ne peux me séparer de ce ciel, de cette mer, de ces rochers ». Les montres fondues, inspirées par un simple camembert consommé à la table du maître, un soir où il est atteint de mal de tête et pourtant se livre au travail, orientent vers des directions infinies, brouillées et clarifiées par la présence de fourmis tête en bas, comme pour manifester la relativité du temps et l’angoisse de le contrôler… Mais aucune montre n’indique la même heure, et la seule qui n’a pas coulé comme un fromage a la tête en bas et se trouve infestée de fourmis. Cette mise en scène de l’éphémère, en contrepoint à l’éternité et à la douceur du paysage, conçu lors d’une session de travail précédente, indiquent l’obsession de Dalí pour l’immortalité, rendue possible en échappant au contrôle du temps. La mollesse, dans laquelle pourrait transpirer l’impuissance relative de Dalí, fait partie des interprétations les plus répandues auxquelles s’oppose une théorie inverse, la maîtrise du temps étant supérieure au pouvoir sexuel. La présence à Figueres de cette œuvre, autant éculée que familière, finit par devenir troublante.

La persistència de la memòria au Teatre-Museu Dalí de Figueres, fins al 18 de març 2008.

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