La Clau
Romain Grau, pour une société fondée sur la confiance

La Clau : Une fracture est apparue au sein de la majorité municipale de Perpignan entre le maire UMP sortant, Jean-Marc Pujol et le Radical Jean-Paul Alduy, maire de 1993 à 2009…

Romain Grau : Je parlerai de tendances et non pas de fracture, car le conseil municipal travaille en parfaite cohésion sur les grands dossiers : nous poussons tous dans le même sens. Mais l’expression de tendances est naturelle, et je n’en nierai pas l’existence, comme dans toutes les majorités, qui comportent des nuances au sein d’un même territoire d’idées. L’essentiel est que le leader sache laisser s’exprimer chacun pour que les différences se transforment en complémentarités.

Le tout, pour vous, est que ce territoire comporte bien des nuances et non des frontières ! En quoi êtes-vous différent du maire ?

Tout d’abord, il ne faut pas exagérer nos différences ni éluder nos points communs. Nous exerçons le même métier d’avocat, dans les mêmes spécialités. Nous partageons de nombreuses valeurs qui font que j’ai rejoint son équipe par choix raisonné et que je n’en suis pas parti. Des différences, il est normal qu’il y en ait. Nous n’avons ni le même âge ni le même vécu. Je suis né à Perpignan dans une famille modeste d’agriculteurs roussillonnais qui plongent leurs racines dans cette terre depuis des siècles. J’ai eu la chance que la République me permette d’étudier et de suivre le cursus honorum des grandes écoles. Sans cette magnifique République je n’aurais pas eu assez de moyens pour étudier à Sciences Po ou à l’ENA. J’ai connu la modestie et les difficultés économiques. Tout cela forge un homme et explique peut-être aussi les différences que nous pouvons avoir avec Jean-Marc Pujol. Sur le plan politique, je partage avec lui un socle de valeurs communes, mais j’ai une autre hiérarchie d’inquiétudes pour notre ville : on ne peut nier que la sécurité est un des droits fondamentaux dans une république solide. Toutefois, je suis partisan de résoudre ces questions de sécurité, sans les ériger en projet politique. La sécurité est un préalable incompressible dont nous devons faire une grande cause municipale, sans en faire une fin en soi. Par ailleurs, il s’agit d’un sujet où il vaut mieux faire que dire. Mais tout ne s’arrête pas à la sécurité. Il faut que nous parlions aussi des écoles, de la culture, du commerce de centre-ville, de l’économie, du développement durable, de l’aménagement. Parlons de ce que nous voulons faire des berges de la Têt, car Perpignan est une des rares villes de sa taille qui tourne encore le dos à son fleuve. Parlons de ce que nous pouvons faire avec l’Université et de la caserne Joffre. Il nous faut aussi affronter les problèmes des quartiers Saint-Jacques, Saint-Mathieu et Le Vernet. Doit-on construire des éco-quartiers ? Doit-on favoriser l’implantation de l’Université à la caserne Joffre ? Perpignan doit-elle rester la ville de l’agglomération qui fait le plus d’efforts en matière de logements sociaux ? Vous voyez bien que l’alpha et l’oméga d’une politique municipale adaptée ne peuvent se réduire à la sécurité. Ne parler que de sécurité, c’est risquer de ne pas parler d’avenir.

On vous dit proche de deux personnalités en délicatesse mutuelle : François Calvet, président de l’UMP des Pyrénées-Orientales, et votre père en politique, Jean-Paul Alduy, président de l’agglomération Perpignan Méditerranée…

Oui, je parle avec chacun d’entre eux au quotidien, c’est presque une règle pour moi comme pour eux. Jean-Paul Alduy fait figure de père en politique pour moi. Il est aussi un exemple dans une conduite de politique municipale réussie. Il a su moderniser notre territoire sans jamais rompre avec notre histoire. Ce réflexe de synthèse, il me l’a transmis, il me l’a appris. Avec François Calvet, nous partageons de fortes racines communes, simples mais fortes. Nous partageons aussi le même sens, le même goût de l’ouverture de notre territoire vers la Generalitat de Catalogne. Et puis, last but not least, nous avons un peu le même amour des bonnes choses de la vie. Mais il ne faut pas exagérer leur « délicatesse mutuelle ». Ce sont des politiques expérimentés qui savent que, passé le temps des combats électoraux, l’essentiel pour survivre est de servir au mieux l’intérêt général et d’être au service de nos citoyens. Ma touche personnelle est le constat de ma génération : nous devons rétablir ou plutôt construire une société fondée sur la confiance. Jean-Paul comme François sont nés dans une telle société. Aujourd’hui, les piliers de la confiance sont devenus très friables quand ils n’ont pas disparu. Nous nous méfions sans cesse des autres, nous refusons le dialogue. Pour notre territoire, cela a des conséquences sur notre capacité à nous développer économiquement. Pour commercer, il faut pouvoir se faire confiance. Notre génération doit être capable de reconstruire une société de confiance. C’est notre défi de génération !

Vous cherchez à capter un double-héritage ?

Très sincèrement, je cherche à améliorer la situation de cette ville, dont tout le monde connaît les faiblesses, mais a perçu les changements depuis l’arrivée de Jean-Paul Alduy, en 1993. Je souhaite agir dans la continuité, en apportant des réponses à des questions que ni Jean-Paul Alduy ni François Calvet n’ont eu ou n’auront à traiter. Je ne m’inscris pas dans une sorte de « sillon Alduy » ou de « mission Calvet ». Je suis un jeune papa, inscrit dans son époque, je crois au respect des Aînés et à la prise de relais concertée. Les heurts politiques sont devenus une tradition en Roussillon, alors que nous avons un bien précieux entre les mains : la ville de Perpignan, qui n’a pas encore livré tout son potentiel. Il faut reconnaître que Jean-Paul est empreint d’une modernité qui permet à notre génération d’émerger. A nous de saisir cette chance ! Enfin, j’aime beaucoup Jean-Paul et François, mais la vie de notre cité ne se limite pas à eux. Je me sens proche également d’hommes et d’amis très chers comme Pierre Becque dans sa capacité à construire des ponts avec le Sud mais aussi entre les gens, ou comme Daniel Mach dans sa volonté d’instaurer une politique de sécurité républicaine qui protège nos familles. Je pense également que des femmes comme Chantal Gombert, Nathalie Beaufils, Danièle Pagès et Brigitte Puiggali doivent et peuvent apporter davantage à la ville qu’elles n’ont pu le faire jusqu’à présent. Vous allez me dire que cela fait beaucoup d’amis qui ne semblent pas toujours être d’accord entre eux. Et pourtant, ils ont tous un point commun : ils aiment notre ville à la passion et ils veulent tout mettre en œuvre pour qu’elle se développe dans la paix et la prospérité retrouvées. Je vous répondrai donc que nous avons beaucoup de chances parce que nous avons au sein de la droite républicaine et du centre perpignanais des talents magnifiques et brillants. Il ne reste pour l’avenir que de mettre en musique ces notes superbes. Un bon leader doit en effet savoir éviter le narcissisme propre à beaucoup de politiques et permettre l’expression des autres. Ne vous y trompez pas, les luttes intestines ne sont souvent que le reflet de la faiblesse du commandement, comme le disait le Général.

Le « respects des aînés » nous renvoie inévitablement à l’âge du capitaine. La France reste unique dans la longévité des fonctions électives. Vous aurez 39 ans en 2014, Jean-Marc Pujol aura 65 ans. C’est un problème ?

Je ne pense pas que ce soit un problème. Les différences de générations sont secondaires, car les choses ne se posent pas comme cela. La question est plutôt : « Diriger la mairie de Perpignan, pour quoi faire ? ». La réponse à apporter à cette question n’est pas une affaire d’âge, mais d’état d’esprit et de compétence. S’il s’agit de diffuser une idéologie, cela va à l’encontre de la ville, qui constitue un carrefour de cultures reposant sur un équilibre fragile. Gérer cet équilibre entre les populations est impossible par la voie dogmatique, qu’elle soit sécuritaire à l’excès, contraignante à la façon des droites dures ou, au contraire, soumise à une tolérance débridée qui ôterait le cadre global, à la façon d’une gauche laxiste. De la même façon, augmenter les impôts pour exercer une pression fiscale excessive sur les entreprises comme sur les particuliers est une mauvaise politique trop souvent pratiquée par une gauche manquant de connaissances en matière d’économie ou… par le Front National, à Toulon ou Orange. La question essentielle serait « La politique conduite est-elle bonne pour la ville ? ». Dominique Baudis, Pasqual Maragall ou Jean-Paul Alduy ont été d’excellents maires pour leur ville et leur âge n’a jamais été un problème. D’ailleurs, ces trois hommes ont un point commun majeur : ils ont su transmettre à une nouvelle génération, avec efficacité et calme. Pour répondre donc à votre question clairement, je ne pense pas que l’âge de Jean-Marc Pujol soit un problème.

Mais vous semblez déjà énoncer un programme politique pour les prochaines élections municipales de 2014. Serez-vous candidat ?

Je ne crois pas que ces élections et le chemin qui va nous y conduire doivent se concevoir de la sorte. Ce chemin sera long et escarpé, donc il nous faut garder calme et sérénité. Toute élection requiert une forme de modestie et de respect des autres : s’il n’y a pas de programme, il ne peut y avoir d’engagement, car l’envie doit avoir un sens. Si vous réunissez des gens juste pour leur dire « nous allons être candidats », vous réunirez peut-être beaucoup de monde mais surtout des ambitieux à la petite semaine et des obligés qui cherchent un emploi ou une allocation. Ce n’est ni ma conception de la politique ni une bonne façon de réussir. La majorité silencieuse voit arriver ces méthodes et ces ficelles, qu’elle rejette fortement. Les politiques oublient souvent cette belle expression catalane : « ils n’ont pas levé la semelle qu’on leur voit déjà la chaussure » Mais ce n’est pas une raison pour basculer dans un excès inverse et affirmer que parce que je m’exprime sur des projets, que je réunis des personnes intéressées par l’avenir au sein du Club Perpignan 2020, je serai candidat à la Mairie en 2014. Clairement, en politique, les choses doivent se prendre dans l’ordre : c’est une question de professionnalisme mais aussi de respect des électeurs. Avant de savoir qui se présente, il faut construire et partager un programme. Il faut ensuite faire émerger des candidats qui aient envie de porter ce programme et qui soient suffisamment combatifs pour ne pas lâcher prise au cours des combats politiques, qui sont toujours très durs. Il faut aussi d’abord rassembler son camp avant de voguer vers les eaux difficiles des joutes électorales. Concrètement, il s’agit par exemple de demander l’investiture aux partis qui vous soutiendront et dont les militants viendront vous aider. Vous voyez qu’il ne suffit pas d’avoir un programme pour dire que nous sommes candidats… Pire, il ne suffit pas de se déclarer candidat pour réussir.

En 2013, la politique engagée par Jean-Paul Alduy aura 20 ans. Quel bilan en tirez-vous ?

Jean-Paul Alduy est devenu maire de Perpignan lorsque j’ai atteint la majorité. Je sortais du Lycée Arago. Perpignan était une ville grise et triste qui vivait dans le marasme des affaires, des combats politiques stériles au cours desquels les électeurs étaient d’abord des « clients ». Jean-Paul a à la fois réussi à opérer la mue architecturale et urbaine de la ville et à amener de la fraîcheur, de la compétence, de la jeunesse dans cette vie politique qui sentait la naphtaline. Le bilan me semble donc flatteur et réussi. Je pense, je sais que les Perpignanais le savent et le reconnaissent. Aujourd’hui, le cap est fixé sur 2020, mais un cap n’est pas une limite, car les enfants nés en 2012 entameront leur vie professionnelle en 2040. Cela paraît futuriste, car nous vivons dans la société que j’appelle « du quart d’heure qui vient » : nous exigeons des résultats immédiats, visibles et matérialisés. Sur ce principe, la personnalité de Jean-Paul Alduy, fondée sur l’échelonnement dans le temps, a suscité des incompréhensions sur le centre commercial de la gare TGV « El Centre del Món » et le Théâtre de l’Archipel. D’un côté, nous avons une infrastructure en difficulté mais nous oublions que le TGV remontant de Madrid et de Barcelone, prévu pour 2009, a été retardé par l’Espagne en crise. Perpignan ne tient aucune responsabilité dans ce retard, qui devient une injustice pour les commerçants et le quartier Saint-Assiscle. Et surtout nous finirons par avoir le TGV qui s’arrêtera à Perpignan d’ici quelques mois. Quelle révolution : nous serons à moins d’une heure de Barcelone, promise à devenir la capitale d’un Etat indépendant. Jean-Paul a su nous préparer à cette révolution mais c’est nous qui allons la vivre et conduire le vaisseau dans ces nouveaux temps. Nous avons aussi la réussite du Théâtre de l’archipel : cette salle force le respect par son succès, et les affirmations adverses ne sont que mauvaise foi. Jean-Paul Alduy, c’est aussi le quai Vauban sur lequel il fait tellement bon vivre, la rénovation des Dames de France, l’aménagement réussi du boulevard Wilson. Ce qui est certain, c’est que ce bilan ne doit pas être vécu comme un point culminant après lequel tout va s’arrêter car il n’y aurait plus de raisons d’être ambitieux. Adopter cet état d’esprit referait vivre à Perpignan les époques révolues d’il y a vingt ans, faites d’immobilisme et de bêtise.

Une candidature à la mairie, vous y pensez en vous rasant ?
Selon la formule, « pas seulement en me rasant » !

Entretien Esteve Valls

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