La Clau
Romain Grau : « ne rien s’interdire, tout se permettre »

La Clau : Romain Grau, le club politique Perpignan 2020, que vous présidez, consacre ses deux derniers forums publics à la Culture, en octobre, puis aux finances publiques, en novembre. Des « Cahiers de Perpignan 2020 » résumeront vos travaux, entamés en août 2012. C’est votre côté « premier de la classe » ?

Romain Grau :
ne voyez aucune prétention dans notre travail, qui n’est pas celui des communiqués opportunistes inspirés par l’actualité sensationnaliste. Nous préférons la réflexion de fond, illustrée par les meilleurs exemples pris ailleurs, agrémentée des souhaits et critiques de la population qui fait l’effort de nous rejoindre. Nous sommes contactés par tous les moyens de communication possibles, nous développons un système coopératif en prise sur le réel. Personnellement, je me méfie de la communication avec un « c » majuscule, dont certaines institutions abusent : ce procédé éloigne l’humain au profit de slogans publicitaires. Je l’ai déjà dit ailleurs, je ne souhaite pas vendre un produit politique aux citoyens (ndlr – Interview sur RCN Radio), il faut écouter Perpignan, même si certains manient l’empathie calculée.

Cela s’appelle le Front National?

Absolument. Se montrer proche des gens en s’exprimant exclusivement sur notre actualité la plus violente peut faire penser aux gens « ah oui, ils ont raison », mais il est plus courageux de proposer des idées, parfois peu populaires, mais pertinentes sur le long terme. J’assume cette difficulté, qui est celle de Jean-Paul Alduy, un homme qui a osé attirer la FNAC à Perpignan, créer un grand théâtre, organiser la ville dans sa globalité, dans des équilibres parfois difficiles, mais qui se confirmeront dans l’avenir. La démagogie consiste à pointer du doigt ce qui ne fonctionne pas tout en niant la logique globale : que le pôle commercial El Centre del Món de la gare TGV soit en souffrance est une évidence, mais ne pas inclure dans ce constat le tort que cause l’absence de TGV direct Paris-Barcelone relève de l’escroquerie intellectuelle. Que des élus d’opposition, aperçus parmi les spectateurs du Théâtre de l’Archipel, nient publiquement la réussite de cette salle, est simplement inqualifiable. Il n’y a qu’un seul Perpignan, mais des fractionnements artificiels nous font perdre du temps pour réussir un projet de ville compliqué par la crise. Je vois la même chose au sujet de la délinquance, sur laquelle une commission de Perpignan 2020 a exposé ses travaux en avril, mais continue de structurer des propositions permettant de contrer le palier le violence franchi ces derniers mois à Perpignan. Sur ce thème essentiel, culpabiliser en bloc le maire, ou Manuel Valls, n’est pas sérieux. Il existe un problème spécifiquement français, dans lequel nous sommes nous-mêmes spécifiques.

Cette spécificité dans la spécificité est aussi économique : la concurrence espagnole en Roussillon est liée au manque de compétitivité française, qui d’ailleurs complique le commerce vers la Catalogne du Sud. En tant que vice-président de l’Agglomération Perpignan Méditerranée en charge de l’Economie, quelle est votre solution ?

Oui, l’essentiel de nos problèmes relève de caractéristiques non pas seulement locales, mais nationales. Mais actuellement, la zone euro voit son solde intérieur s’améliorer pour la deuxième fois consécutive, c’est-à-dire qu’elle redevient compétitive. L’Allemagne, qui est le premier client de la France, consomme un petit peu plus, ce qui peut susciter une reprise en France, mais notre manque de compétitivité est cruel : le commerce extérieur français est en berne et les vrais remèdes sont fuis, au bénéfice de la pression sociale et fiscale. Au fond, le voyant macro-économique européen est au vert, l’environnement est plutôt positif, mais l’économie américaine, redevenue très compétitive, dispose d’une compétitivité supérieure de 35 % à la nôtre. Cette performance est rendue possible par une modération salariale, une flexibilité plus forte et un coût de l’énergie, qui a plongé. Actuellement, un industriel français achète son électricité 60 % plus cher qu’un concurrent américain ! Cette différence est fortement liée à l’exploitation du gaz de schiste, qui présente l’avantage de pouvoir être traité en dehors des lieux d’extraction. Plusieurs territoires peuvent donc profiter de cette ressource, avec des industries distribuées de manière équitable. Comme vous le savez, le débat existe en France, entre les écologistes, qui défendent légitimement le souhait de préserver l’environnement, et beaucoup de gens qui défendent une indépendance stratégique et une énergie peut-être moins chère. Clairement, l’exemple américain démontre que cette énergie a boosté l’économie, en 4 ou 5 ans, alors que tout semblait perdu structurellement, face à l’Asie. Il y a là un espoir pour l’économie française, mais je suis assez pessimiste sur les capacités du gouvernement à savoir tirer les meilleures conséquences d’un commencement de début de reprise économique. Nous en bénéficierons peut-être un peu, mais de bonnes décisions publiques permettraient d’en bénéficier davantage. Nous manquons d’Etat-stratège.

Bien qu’en France, Perpignan est soumis à de nombreux flux économiques espagnols…

Oui, et nous avons intérêt à ce que l’Espagne et la Catalogne aillent mieux. D’ailleurs, les efforts de compétitivité y provoquent un frémissement. Je pense là à la concurrence féroce des entrepreneurs du BTP de Girona, ici, en Roussillon. Si le marché catalan du Sud reprend, nous serons moins une zone de repli, mais, de toute façon, avoir un voisin fort est un avantage. Plus généralement, l’Agence de Développement Economique que nous lançons cet automne répondra aux ambitions de notre territoire. Cette structure d’un nouveau genre épousera des valeurs d’efficacité issues du monde de l’entreprise.

Depuis quelques années, le « marketing territorial » occupe les esprits à Perpignan : on en parle, on le dissèque, mais cela reste un « machin »…

Des dizaines de territoires en France veulent exister aux yeux des grandes entreprises. Que voulons-nous mettre en avant ? Le principe du marketing territorial est indispensable, il permet d’apparaître, et de capter des entreprises mobiles, qui peuvent s’implanter sur le territoire national. Il ne s’agit pas de créer l’authentique de Jean de Florette, car l’attractivité ne se décrète pas, mais cela y contribue. Il est certain que la France a énormément perdu en attractivité avec les politiques du gouvernement actuel, qui rendent une implantation difficile. L’asphyxie fiscale est réelle sur les entreprises, mais, malgré ce boulet aux pieds, il faut essayer de croître. A Perpignan, nous sommes aux balbutiements, car, du marketing territorial, tout le monde en a fait dans son coin, et nous avons une pluralité de marques qui ne nous rend illisibles, en France ou à l’étranger. Qui sommes-nous ? Il faut d’abord le savoir, avant de « vendre » ce territoire. Mais je le répète : les outils de marketing territorial ne sont pas la panacée. Il faut leur associer une offre foncière, que l’Agglomération a développée, il faut défendre un climat favorable au business, et faire pression pour que l’attractivité de la France soit renforcée.

D’Ottawa à Singapour, tout le monde connaît « L’Oréal Paris », le Savon de Marseille ou les eaux d’Evian et de Vittel portent en elles des villes. Ce sont des truismes, mais ici, le chocolat Cémoi, leader en France, les papiers à cigarette OCB, références absolues chez les fumeurs, ne véhiculent pas Perpignan. Bien pire, l’affaire des « disparues de Perpignan » déconstruit le marketing territorial !

Cela illustre notre fragilité, nous partons de loin et les outils disponibles ne sont pas à la hauteur. Prenez « Sud de France », la marque défendue par la Région Languedoc-Roussillon : pour un Berlinois, un Parisien, un Londonien ou un Barcelonais, le trouble est absolu ! « Sud de France », c’est Bordeaux ? Marseille ? Il en va de notre capacité de projection au monde, car nous sommes un petit territoire en termes économiques et démographiques, et nous sommes obligés de nous présenter comme un « petit nerveux », au sens noble. Regardez le Pays Basque et son piment d’Espelette. Il s’agit d’une invention, car Espelette n’est pas le seul lieu de production de piment basque. Alors inventons, car notre position n’est pas celle d’une rente de situation et de sédimentation de l’Histoire économique, contrairement à Paris, Londres ou Barcelone. Nous devons aider nos entreprises à vendre, tout en en attirant d’autres, en créant ou en utilisant une marque existante. Le débat est ouvert : il ne faut rien s’interdire, et tout se permettre. Le statu quo est dangereux, entre un vaste et illisible « Sud de France » et notre multitude d’identités : Roussillon, Pyrénées-Orientales, 66, Pays Catalan, Perpignan-Roussillon, Pyrénées-Roussillon, Pyrénées-Méditerranée, Catalogne du Nord, Catalogne Française, France-Catalogne…

N’en jetez plus ! Aux USA, on considère qu’une marque unique donne la force de deux, que deux équivalent à la moitié d’une et que trois équivalent à zéro, par phénomène de dispersion. Nous partons de très très loin ! « Roussillon » n’est pas la meilleure option ?

L’idée est de consulter les grands chefs d’entreprises, car la seule collectivité publique ne peut se permettre d’agir ex-nihilo. Les patrons ont une autre expérience de la communication. Ce processus est lent, car il ne faut pas se tromper, avant d’effectuer un choix et de le marteler. L’exemple le plus frappant est celui du Pays Basque, qui fait partie de la Région Aquitaine, mais profite de sa propre marque, que les esprits dissocient de l’estampille régionale. Notre chemin de prospérité dépend de volontés désintéressées, car l’un des avatars du marketing territorial a été d’être un outil au service des élus. Je pense que le politique doit guider ce processus, mais ne pas chercher à en être le bénéficiaire.

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