La Clau
Michel Pinell: «le fonctionnement de Monsieur Pujol a vite montré ses limites»

Michel Pinell est un enfant du quartier Saint-Jacques de Perpignan. Il est entré par la petite porte à la Banque Populaire et a progressé, examen après examen, car « l’ascenseur social fonctionnait, à l’époque », nous confie-t-il. Aujourd’hui adhérent du Mouvement Démocrate (Modem) des Pyrénées-Orientales, ce petit homme pétillant a voté Mitterrand en 1981 mais a toujours milité dans le centrisme. Il nous raconte l’origine du festival international de photojournalisme Visa pour l’Image et décrit une gouvernance municipale chaloupant entre cynisme et mépris.

La Clau : Michel Pinell, la culture, c’est quoi ?

Michel Pinell : sans aucun doute, c’est ce qui relie les gens en toute tolérance. C’est un facteur essentiel d’épanouissement et d’émancipation. C’est ce qui permet à l’individu de se construire intellectuellement et affectivement, de développer son sens critique et sa sensibilité, de faire émerger une identité citoyenne. Oui, surtout citoyenne.

On vous dit « papa » de Visa pour l’Image…

J’ai simplement contribué à porter le projet « Visa pour l’Image », avec un collectif. Le maire Paul Alduy, auprès duquel j’ai été élu conseiller municipal, m’a confié en 1988 ce projet en lequel personne ne croyait. Les commerçants cherchaient à faire de l’événementiel. A l’époque, le publiciste Jacques Séguéla est venu nous dire qu’il fallait faire un référendum pour interroger la population sur le projet le plus pertinent. Cette idée un peu folle aurait eu un coût exorbitant. La deuxième idée était d’organiser à Perpignan un festival européen des jeux télévisés, où les chaînes de télévision auraient fait leur marché. Le troisième projet a été proposé par le groupe Filipacchi, à la recherche d’une ville qui accepterait d’accueillir un festival du photojournalisme, avec le partenariat des magazines Paris Match et Photo. Une aubaine ! Dès la première soirée, au Palais des Rois de Majorque, c’était plein. Puis, j’ai quitté la mairie en 1989 pour me consacrer à mon métier. Le maire actuel, Jean-Marc Pujol, m’a contacté en 2012 alors que je dirigeais quatre agences bancaires à Perpignan. Avec une équipe d’amis, nous avons réfléchi à un projet culturel et je me suis présenté avec lui en 2014. Quelques mois après notre élection, et comme je m’y étais engagé, j’ai quitté mon emploi pour me consacrer à temps plein à ma fonction d’élu et d’être au plus près de tous les acteurs culturels.

On entend dire que la démocratie est relative au sein de l’Hôtel de Ville… Qu’en est-il ?

Quand je suis arrivé, ce qu’il fallait avant tout, c’était terminer les travaux au Musée Rigaud puis réussir les premières expositions. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Claire Muchir (ndlr : Conservateur du musée), une fille extraordinaire. Mais le fonctionnement de Jean-Marc Pujol a vite montré ses limites. Tout a été difficile très vite. Les délégations n’en avaient que le nom, car, le lundi, il arbitrait sans consulter ses adjoints. Le mardi était alors une journée d’angoisse : il n’y avait aucune démocratie d’équipe, aucune conduite concertée. J’apprenais par le Directeur de la Culture que des expositions étaient annulées, que le nom des uns et des autres était effacé des bristols d’invitations etc. L’épisode du Centre d’Art Contemporain Walter Benjamin, fermé sans explication a relevé du même procédé, avec des décisions, parfois hallucinantes, brutales et souvent des mensonges. Quand ce lieu a fermé, j’ai tout fait pour empêcher sa vente et je viens d’apprendre qu’il serait sur le point de rouvrir à quelques semaines des élections. Mais cela ne trompe personne, l’intention du maire est bien de le vendre. D’ailleurs que vaut sa parole aujourd’hui ? Puis, l’irrémédiable est arrivé avec le Théâtre municipal.

Il était pourtant clair que le théâtre deviendrait une faculté en 2020 !

J’ai refusé d’être l’adjoint à la culture élu lors du massacre de notre théâtre, inauguré en 1813 ! J.M. Pujol m’a assuré, à moi comme à d’autres, et même en séance du Conseil Municipal, qu’il ne s’agirait que de changer les fauteuils. Dans le journal l’Indépendant du 12 mars 2019, il a promis que la salle Jean Cocteau, cet écrin artistique du premier étage, pourrait « continuer à recevoir des spectacles ou toute sorte de manifestations culturelles ». Il savait que ce n’était pas vrai et qu’elle serait condamnée. Jean-Marc Pujol croit que les Perpignanais oublieront ses engagements, c’est son mode de fonctionnement. Il a employé cette méthode, en 2014, en promettant de ne pas viser la présidence de l”agglomération. Pour le Théâtre municipal, il a fait un pari sur la bêtise des Perpignanais, en pensant « ils ne s’en souviendront pas ». N’est-ce pas la définition même du cynisme ?! Je préfère les paris sur l’intelligence et la concertation. J.M. Pujol ne m’a jamais consulté, allant jusqu’à m’interdire l’accès au dossier et au chantier.

Pourquoi ne pas démissionner avant ?

Cela n’aurait servi à rien. Le stationnement aurait été aussi cher, Saint-Jacques n’aurait pas subi moins de massacres immobiliers. En partant trop tôt, j’aurais lâchement abandonné les projets engagés, dont celui du Musée Rigaud. J’ai vécu, comme d’autres, des épisodes de profond mépris. Mais je suis globalement fier de mon bilan, car j’ai réuni tous les acteurs culturels, de l’Institut Jean Vigo, de la Casa Musicale, du centre d’art Acentmetresducentredumonde, du FILAF dans une Charte de Coopération Culturelle pour coordonner l’offre de notre ville. Le Musée Rigaud est entré très vite dans le petit cercle des grands Musées, avec de belles expositions : Picasso, Dufy, Clavé, Maillol Rodin et Rigaud l’été prochain, exposition que j’ai négocié avec le Château de Versailles. Les gros travaux engagés à la médiathèque sont pertinents, le festival Live au Campo a trouvé son public, j’ai réussi à empêcher la vente du Centre d’Art Contemporain et d’autres projets, actés par la Direction Régionale des Affaires Culturelles, sont encore dans les cartons comme les vitraux à l’église des Dominicains. J.M. Pujol cite d’ailleurs la culture et le patrimoine parmi les grandes réussites de son mandat en oubliant de dire que son élue au Patrimoine, la Directrice du Musée Rigaud et l’Adjoint à la Culture ont tous préféré partir que de continuer à travailler avec lui.

Pour les Perpignanais, les soirées divertissantes sont chez Boitaclous ou au Théâtre de l’Étang de Saint-Estève. Les soirées gonflantes sont au Théâtre de l’Archipel, qui est municipal. Le théâtre Alduy est un filtre social, non ?

C’est une vraie question et c’est une inquiétude. Il est vrai que le Théâtre de l’Archipel doit encore progresser et élargir son public « théâtre » mais ses spectacles ne sont pas gonflants ! Faire en sorte que tout le monde franchisse ses portes est loin d’être acquis, mais je fais pleinement confiance en son directeur, d’ailleurs les choses s’améliorent de jour en jour. Nous devons aussi provoquer la rencontre des publics. Le reproche que je fais au maire, c’est que le Théâtre municipal devait justement tenir ce rôle d’incubateur de compagnies locales, avec de la création et des résidences. Il l’a parfois dit, mais il a tué l’ancien théâtre. Cette décision a été prise sur l’instant, sans aucune étude d’impact, sans architectes ni concertation.

Le rappeur Némir est une réussite de la casa musicale..

Absolument ! Preuve qu’il y a des résultats qui fonctionnent, à condition d’avoir une vision de moyen et de long terme, et non pas une vision du quart d’heure qui arrive. La réussite de Némir est formidable. J’aime beaucoup son travail. J’aime aussi beaucoup sa personnalité. Il faut aimer la culture et croire en elle pour que ça fonctionne. Cela conditionne la production de projets. Il faut aussi aimer les acteurs culturels.

Quelles sont les qualités de Jean-Marc Pujol ?

Il a été un bon comptable, la ville a redressé ses finances. Il a été un bon second de Jean-Paul Alduy. Mais a-t-il été un bon gestionnaire, car terminer son mandat avec une épargne nette de 14 millions alors que les gens trouvent le stationnement horriblement cher, la ville pas assez propre, ce n’est pas un exemple de gestion, d’autant que l’on peut aujourd’hui emprunter à des taux proches de zéro.

Vous avez voté Mitterrand en 1981. Quelles sont les qualités de la gauche en matière de culture ?

Historiquement, il y a eu de grandes avancées à droite comme à gauche, avec les Maisons des jeunes et de la culture (MJC), dont je suis issu, puis avec Jack Lang. Mais aujourd’hui, la mairie ne doit pas toujours faire, elle doit être facilitatrice auprès des acteurs culturels. Pour le festival Live au Campo, nous aidons la production et nous lui demandons de faire jouer des artistes d’ici en première partie. Mais il faut que tout cela se passe aussi dans la transparence et l’équité.

Le Palais des Rois de Majorque est une enclave dans Perpignan, qui illustre la guerre entre le Conseil départemental et la mairie. Cette guerre a opposé Christian Bourquin, décédé, et Jean-Paul Alduy, qui s’est retiré. C’est délirant !

C’est un non-sens. Il est grand temps de créer un pass’culture qui fasse fi des anciennes oppositions entre les collectivités locales, pour que les visiteurs puissent naviguer d’un lieu à l’autre sans se préoccuper de politique. Nous sommes au 21e siècle ! Le stationnement des bus est interdit devant le Palais des rois de Majorque pour cette raison. C’est archaïque. Perpignan a besoin d’un maire qui rassemble.

Pourquoi rejoindre Romain Grau ?

Je me suis rapproché de la candidature de Romain Grau parce que je suis fou amoureux de ma ville et que c’est justement un homme qui rassemble. Je me dois de m’investir, pour éviter l’effondrement total ou voir la ville dirigée par un mercenaire d’extrême droite qui d’elle comme de sa première chaussette. Romain Grau a une vision, mais c’est surtout quelqu’un qui aime les gens. Perpignan a besoin d’être apaisée, d’avoir, un maire présent, qui se gare normalement et pas transporté par un chauffeur qui le dépose à l’arrière de l’Hôtel de Ville où il s’engouffre vite, pour ne rencontrer personne.

Visez-vous le poste d’adjoint à la culture auprès de Romain Grau ?

Je ne soutiens pas Romain Grau dans sa marche vers la mairie parce que je viserais un poste ou un autre. Ce n’est pas le genre de la maison ! Je l’ai rejoint car je crois en cet homme, dans son équipe et son projet… et surtout parce que je suis convaincu que cela est nécessaire pour Perpignan. Mais si vous voulez le fond de ma pensée, la culture a toujours besoin de renouvellement pour scintiller.
Je resterai attentif à ce qui se passe dans le domaine culturel par passion bien sûr, mais je pense que je peux aussi être utile sur d’autres sujets.

Entretien Martin Casals

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