La Clau
Après les chaînes pour bébés, les chaînes pour fœtus ?

Les feux d’artifice du mois dernier ont éclipsé une information majeure : le 14 août, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel français a annoncé sa décision de contrôler mieux encadrer les émissions des chaînes de télé pour bébés en définissant une série de règles de promotion des émissions : l’état, aidé de pédopsychiatres, vise de fait la chaîne britannique Baby First, arrivée par satellite en France en 2007, pensée pour les « besoins des parents et de leurs tout-petits ». Cette chaîne emboîte le pas à Baby TV, lancée en France en 2005. Dès le 1er novembre, l’ensemble des chaînes du genre devront expliciter leur cible à l’écran pour casser les phénomènes insidieux : avertis, les parents seront alors responsables d’alimenter leur progéniture de contenus ourdis pour les rendre accro, sur le principe du « Fumer tue » imposé sur les paquets de cigarettes. Cette décision, qui figure sur une délibération du CSA en date du 22 juillet, devrait asseoir le clivage entre les familles aptes à choisir, en quelque sorte, un modèle de société, et les autres, le subissant sans conscience de son existence. En réalité, ce choix légal concernera surtout la chaîne TNT Gulli, gratuite, et n‘atteindra probablement pas Baby TV ni Baby First, qui émettent depuis la Grande-Bretagne et sont à l’origine de la silencieuse polémique française. Silence ? Logique ! Pour que tout le monde le sache, il faut que la télévision traite le sujet aux journaux de 20h : un vrai suicide. Et une nouvelle fois apparaît le problème de l’accompagnement individuel, dans une Europe généralement orientée vers le libre choix et une France dont l’Etat-papa devra bientôt dire aux parents de coiffer leurs enfants.

Troubles de langage et perte de réel

Pourquoi s’arrêter là ? En attendant la télévision pour fœtus, dont le concept délirant, après tout, devra bien être possible un jour, les humains de demain auront encore perdu le rapport à la vie « réelle » face à l’existence « virtuelle », qui la remplace parfois déjà. Certes, les experts français consultés par le CSA jugent que « la consommation de télévision porte atteinte au développement des enfants de moins de trois ans » favorise « la passivité, les retards de langage, l’agitation, les troubles du sommeil et de la concentration », c’est-à-dire l’inverse des avantages avancés par les chaînes. Mais cette vision n’est autre que la version actuelle du constat des intellectuels « talibans » post-68, du temps de la pleine démocratisation de la télévision en Europe, qui a assis dès la fin des années 1970 la civilisation par procuration : du coup, les actuels trentenaires identifient un zébu ou un diplodocus à l’écran mais ignorent le nom des oiseaux ou des plantes de proximité… En guise de bonus, l’étape actuelle comprend l’addition pour les 0-3 ans concernés d’émissions spécifiques et de programmes « familiaux ». La science-fiction a largement traité ce thème de la robotisation progressive de l’humain, déshabitué au toucher réel, à l’émotion réelle, à la mémoire, au silence, à l’action… Mais les enfants accros sont le fruit de parents eux-mêmes, nous-mêmes, accoutumés à la télévision en bas âge.

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