La Clau
« Aigües » de Sébastien Frère : chercher ici la trace d’ailleurs

Pour fixer le décor de sa vie, les 19 ans de Sébastien frère en mai 1968 sont un indicateur sommaire qui éclaire une première démarche alternative vers la céramique, après quelques bidouillages picturaux, dans la continuité du père, le peintre Henri Frère, qui créait un atelier de céramique à Perpignan en 1947. Déjà, la quête dd l’ailleurs était basée sur l’ici, dans un pays de sens, libre des bluffs universels, porté sur la déclinaison des gammes ibériques, de la région des Albères jusqu’au bout de la terre catalane, vers Murcie et au-delà, lorsque pointe l’Andalousie, elle-même prélude du monde arabe. Les Frère sont unis dans cette révélation hispano-mauresque, dans ce quelque part que leur œuvre explore, comme d’autres la survolent ou la surfont. Sébastien Frère, élevé en ville, hérite de ce pas en s’installant dès 1973, avec son frère Daniel, au mas familial de Sorède, dans l’humidité du pied des Albères, à l’ombre de deux platanes bicentenaires. Il se lance dans l’étude de la céramique, trouve le lien avec les bleus barcelonais et les calligraphies valenciennes, détecte l’Orient et l’extrême l’Extrême-Orient dans le génie populaire et les arts savants de Catalogne. Mais, sur l’exemple de Picasso, dont les céramiques ne font l’aura artistique, Sébastien se remarie avec la peinture en 1989. La trace reste le guide mystérieux, dans un chromatisme retenu, composé de bruns, d’ocres et de noirs, où souvent pointe l’eau, qui s’offre en intitulé de l’actuelle rétrospective perpignanaise. Papiers de soie marouflés sur toiles, papiers déchirés, papier cristal, déchirures, eau-peinture-papier… Sébastien Frère essaie, emploie le grattage et le trait de cutter… Les formes jumelles se succèdent sous l’acrylique, les pigments et l’encre de Chine, appliquée sur une planche de bois. La gravure se reporte sur le papier transparent pour faire naître une cartographie de l’imaginaire en réalité peu hasardeuse. La matière vit sous l’éclairage doux et apparaissent de probables et improbables paysages chinois, brumeux, face au temps. L’identité n’est pas loin, profonde et spirituelle, la transparence devient évidence, la trace reste, révolutionnaire et néo-traditionnel.

Permanence d’une généalogie artistique

Loin est la trace du groupe des « artistes roussillonnais », Maillol, Violet et Terrus, réunis, avant et après la première guerre mondiale, sur un succès porté par la figure tutélaire d’Aristide Maillol. Cette expérience reste sans suite mais Sébastien Frère en est l’ultime nervure, par son père Henri Frère, sculpteur et prédécesseur en art, fortement lié au sculpteur de Banyuls et auteur en 1956 du recueil de séquences « Conversations de Maillol ». Cette trace comprend aussi la présence permanente au domicile familial de Perpignan, où il est né en 1947, de nombre d’artistes dont les peintres Germain Bonel, François Desnoyer et son oncle André Susplugas, insufflant l’évidence. Sébastien Frère est aussi porté par la branche maternelle via l’immense poète Josep Sebastià Pons, grand-père disparu en 1962, qui maintenait lui-même un lien avec Maillol… La succession des époques, de Maillol à 1968 à la désormais vieille « résistance culturelle », préalable à la ré-adhésion au territoire, les sens s’empilent, la trace tire sa liberté du lien avec la terre. Sans tiraillements de civilisation, mais aux antipodes de l’invisible prisme parisien, qui a souvent perçu la planète comme un champ exotique, l’insolent Sébastien Frère a exploré le Sri Lanka, l’Inde, l’Andalousie et l’Italie, pour un résultat en rupture avec l’art occidental, issu de la Renaissance, plaçant la sensibilité des mains et celle de l’âme sur deux pôles adverses, sous-estimant l’artisanat par suprématie de la chose raisonnée ou prétendue pensée. Frère unifie le toucher et le penser, le produit et le ressenti, fait corps avec l’œuvre et fait un tout à partir du corps, des mémoires, gestes, matières et imaginaires. Un soupçon de philosophie orientale avant et après l’heure.

Sébastien Frère, « Aigües ». Exposition jusqu’au 17 décembre 2008 au Palais des congrès de Perpignan. www.sebastienfrere.com

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