Ce type de label global est présent à Girona, Sabadell ou Lleida ?

C’est une formule assez nouvelle, sans précédent au sud, où tout est assez différent car, ici, la culture est davantage soutenue par les mairies. Au sud, les villes n’ont pas les mêmes moyens, car les impôts plus faibles. La culture y est donc davantage aidé par le gouvernement catalan et les députations. Ici, à Perpignan, nous travaillons dur pour que le Théâtre de l’Archipel soit reconnu comme scène nationale, en 2011, avec un financement de l’État et de la Région Languedoc-Roussillon, dans la pluridisciplinarité que nous souhaitons. Tout indique que l’Etat nous soutiendra, et la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) de Montpellier tour comme la Région sont à nos côtés, malgré la crise.

Quelle est la structure juridique du Théâtre de L’Archipel ?

Le 2 janvier 2010 la « régie » du Théâtre de l’Archipel, qui regroupe trois anciennes « régies » municipales, a été créée, en lieu et place des anciennes régies Le Théâtre, Le Mediator et CAMPLER (Centre Art Musique Perpignan Languedoc-Roussillon). Cette nouvelle formule sera visible lors de la saison 2010-2011, avec la « Comédie des erreurs » de Shakespeare mise en scène par le britannique Dan Jemmet, les « Voyageurs immobiles » de Philippe Genty, la chanteuse Enzo Enzo, le rocker Arno, les pianistes Mikhail Rudy et Bertrand Chamayou, la violoncelliste Anne Gastinel, le saxophoniste Steve Coleman, le violoniste Régis Pasquier… En tout, nous débuterons avec 24 grands spectacles, et chaque lieu « historique » de Perpignan conservera son propre domaine artistique. Tout cela précèdera la fin des travaux du Théâtre de l’Archipel en tant que lieu matériel, conçu par Jean Nouvel.

Qui décide au niveau artistique ?

C’est un « trident », dans lequel j’assume la direction générale et le secteur du théâtre, de la danse et du cirque. L’ancien directeur du Mediator, Maurice Lidou, est devenu adjoint à la direction, chargé de la programmation de musique actuelle et arts numériques, tandis que Jackie Surjus, qui dirigeait CAMPLER, est directrice adjointe et assure la programmation de musique classique et contemporaine. Tout cela est très ambitieux, dans une vocation euroméditerranéenne et transfrontalière.

Perpignan est-elle limitée ?

Perpignan arrive tard avec l’équipement dont nous disposerons dans un an, mais il y a ici tout un univers à découvrir. Par conséquent, moi je dirais « Perpignan sans limites ». Nous sommes face une grande inconnue, la tâche est lourde, mais l’envie est grande, car les compagnies théâtrales foisonnent, les chanteurs sont nombreux. De très nombreuses formations n’ont jamais pu jouer ici, faute de grand lieu professionnel. Dans le cadre de la programmation de 2010-2011, 12 compagnies ont refusé de jouer à Perpignan faute d’espace scénique! Le public d’ici est donc privé de certains types de spectacles. Le Théâtre de l’Archipel suscitera donc un énorme changement dans la perception du domaine du spectacle, notamment en matière de danse, où l’exigence d’espace est forte. Je suis optimiste, car Perpignan n’a pas de limites. Songez que ce théâtre sera l’un des meilleurs de France et de l’Espagne. Tiens, le 17 juin dernier, j’ai invité tous les théâtres et collectivités de la grande région qui soutiennent les arts de la scène, afin de leur présenter le Théâtre de l’Archipel. J’ai donc reçu une trentaine de théâtre publics, venus de Toulouse, Albi, Foix, Alès, Sète, Montpellier, Girona et Barcelona. Et des projets sont nés autour de la table, inscrits dans ce nouveau cadre territorial que nous souhaitons créer et densifier.

C’est très politique…

C’est le reflet d’une réalité qui se développe déjà au plan économique. Les grandes régions de rejoignent, car elles en deviennent plus fortes, et parce que leurs échanges, économiques et culturels, sont devenus faisables. Je crois que l’Europe des régions doit exister aussi au niveau culturel, pour accompagner notre perception géographique naturelle.

La Scène Catalane Transfrontalière (SCT) a été lancée en 2009 pour mettre en commun des spectacles entre Perpignan et Salt, dans l’agglomération de Girona. Quel est votre bilan ?

Au niveau artistique, c’est une grande réussite, avec beaucoup de liberté pour chacune des villes. Cette programmation conjointe que nous avons lancée accompagne une économie, mais il faut encore échanger les créations d’un côté à l’autre. A mon avis, les échanges seront portés par le public lui-même, mais ce sera lent, car les habitudes n’évoluent que petit à petit. Lors de la prochaine saison, on remarquera une évolution des allées et venues, qui devrait encore augmenter lors de la troisième année, en 2011-2012, mais notre financement via le programme européen INTERREG sera terminé. C’est bien pour cela que je souhaiter placer le Théâtre de l’Archipel au centre de ce que j’appelle la « grande région du sud », qui couvre Toulouse, Montpellier, Barcelone, Perpignan, Salt et Girona. Nous devons prendre conscience que cette région est capable culturellement, et qu’elle n’est encore qu’émergente. Avec le TGV, à 20 mn de Girona et 45 mn de Barcelone, notre place, au milieu, sera très forte.

Vous être euphorique… Mais l’an dernier, Girona a programmé l’immense pianiste japonais Ryuichi Sakamoto, l’English Chamber Orchestra, le bluesman anglais John Mayall, etc… Il n’y a pas une disproportion avec Perpignan ?

Il faut distinguer la programmation de la ville de Salt, avec laquelle nous travaillons, et celle de Girona. Je pense qu’il faut donner du temps au temps. Entre Perpignan et Girona, il y a un décalage temporel, mais pas en matière de public. Et surtout, la qualité appelle de la qualité. À l’heure actuelle nous travaillons pour intensifier l’information de chaque côté, mais il faudrait que les programmes du sud soient aussi bilingues, comme ceux d’ici, car à Girona et Salt, les documents et les sites Internet sont en catalan seulement. Justement, au niveau des langues, en matière de théâtre, le public d’ici doit s’habituer au sous-titré, qui fonctionne très bien Barcelone et à Girona, mais qui fait encore peur ici. Il faut dépasser cela, doit se surpasser, pour rejoindre la normalité.

Le TGV ne risque pas d’aspirer la clientèle culturelle du Roussillon vers Girona, sur le même principe que la razzia sur La Jonquera ?

Tout dépend de nous. Beaucoup de gens du sud voudront venir ici en pleine saison pour écouter un bon concert, un bon chanteur, une bonne pièce de théâtre, ou un bon spectacle de danse. Regardez, le festival TILT de Perpignan, consacré aux nouvelles technologies et aux voix émergentes du pop et du rock, attire beaucoup de gens de Girona…

L’axe Perpignan-Girona est encore virtuel, non? En 2008, Iggy Pop a chanté à Castelló d’Empúries, avant d’être programmé cet été à Argelès, à seulement 20 km. Cet été, Patti Smith a chanté à Argelès, puis 20 jours plus tard à Sant Feliu de Guíxols, à 80 km… Nous avons une frontière en béton ?

La normalité serait que les programmateurs de Sant Feliu de Guíxols se mettent d’accord avec ceux d’Argelès, en joignant leurs dates et en économisant sur les déplacements. Mais ici ils|elles contrôlent les dates de chaque festival, qui ne coïncident pas. Mais il reste le problème des vacances, qui commencent plus tard au sud. Par conséquent, il existe un décalage de dates. Mais il est clair qu’il faut tout faire coïncider davantage, pour développer les échanges d’artistes. Cette coordination est désormais possible ici, mais le sud en est encore loin. Les torts sont davantage au sud.

La Mairie de Perpignan est à majorité UMP… Vous recevez des directives ?

Absolument pas. Je suis artistiquement de gauche. Mais, plus que de droite ou de gauche, l’art doit avancer. Nos responsabilités sont supérieures au fait d’être de droite ou de gauche. Je me sens très libre dans mon travail, ici à Perpignan. La seule chose est que je voudrais aller plus vite, mais ce n’est pas possible, car tout doit être budgétisé, tout suit une logique. Je souhaiterais davantage de budget. Mais au niveau artistique, il n’y a aucune ingérence.

Comment voyez-vous la place réservée au catalan, à Perpignan ?

C’est une question difficile… Je pense qu’ici, on aime le catalan, mais qu’on le pratique très peu, tout en lui octroyant un parfum de souvenirs, une déférence, une sympathie. On recherche une identité, on a besoin du romantisme d’une identité enrichissante, et non pas annulative. La même chose a été observée en Catalogne sud, lorsque le catalan a explosé à la mort de Franco, puis a été réglementé et enseigné dans les écoles. Du coup, le catalan est bien plus parlé qu’auparavant.

Les enfants sud-catalans apprennent l’anglais très jeunes à l’école, et ils maîtrisent le catalan et l’espagnol. Puisque le sud a abandonné le français au bénéfice de l’anglais, n’y a-t-il pas une nouvelles barrières de communication avec le nord ?

Je ne pense pas que la maîtrise de trois langues soit une perte d’identité. Mais au niveau du théâtre, qui est un vecteur intéressant en la matière, je ne vois aucune limite, d’ailleurs je ne programme rien en fonction de la langue, mais en fonction de la qualité et de l’intérêt des créations. Face à Toulouse ou Girona, nous devons aussi nous ouvrir au monde, car la mise en contraste des cultures et des manières de faire nous enrichit énormément. Ici en France il y a eu une tendance très forte à se regarder en nombril. Mais il y a beaucoup de nombrils à regarder, dans le monde entier.

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