La Clau
Franz Ferdinand, le développement durable du rock

Le nouvel album du plus grand groupe écossais du moment peut bouleverser ses fans, sans les perdre, et conquérir un nouveau public. Ce disque tonitruant, dont les chansons ont été préalablement testées sur scène dans de petites salles, incarne un certain réel de notre époque, entre une majorité de rythmes pop efficaces, un détour psychédélique et même une ballade dépouillée : de la joie à la mélancolie. C’est peut-être classique, mais au moins ce n’est pas linéaire et ça échappe à la musique conçue comme un vulgaire flux façon pâte dentifrice. Entre autres innovations, cet album est construit en vagues, presque en mouvements, à la façon d’une prestation de DJ, minutée et conçue pour dégager une impression globale, en crescendo puis decrescendo. Le plus diabolique de cette construction est le calcul mathématique établi par le groupe, Alex Kapranos, le chanteur de 36 ans, en tête, pour rendre ce troisième album plus dansant que les précédents, c’est-à-dire plus lent : les FF ont carrément mesuré au métronome le tempo du maxi-tube Stayin’ Alive, des Bee Gees, établi à 102 beats par minute (BPM), pour ne pas trop s’en éloigner et s’adapter à notre biologie. Gonflé. Cet album, dans lequel Franz Ferdinand réussit sa prouesse, révélée dès son Take Me Out lancé en 2003, d’empiler les différentes parties d’un morceau sans abandonner sa logique mélodique, donne plusieurs tubes potentiels dont « No You Girls », plébiscité par un panel d’auditeurs, cobayes à leur insu lors de concerts en marge des grandes tournées.

Rock même pas ennuyeux

Franz Ferdinand a choisi sans hésitation le nom de l’archiduc d’Autriche assassiné en 1914 dans l’attentat de Sarajevo, déclencheur de la Première Guerre mondiale… Sont-ils alors les fers de lance d’un nouveau combat pour un nouveau rock, que l’on a prétendu un temps embrayé sur les années 1980 ? Eloignés de tout engagement convenu, les FF sont plus sûrement les déclencheurs de la vague « dada-rock », ouverte en 2004 avec un premier album qui sera un classique de la décennie, puis un second en 2005, un peu épouvantail car trop énervé. La remise à niveau fournie par ce « Tonight » est celle de la capacité au renouvellement, au seuil du fameux troisième album, qui révèle généralement l’aptitude à tenir la route : le groupe change de couleur, de style et de sources, tout en gardant son look bien fringué. Cet album est tantôt léger (Send Him Away, No You Girl), tantôt irréprochablement rock (What She Came For), rock 80 (Twilight Omen, Live Alone) et même psychédélique (Ulysses) avant une pause en ballade (Katherine Kiss Me). La puissance de Franz Ferdinand est l’entre-deux, la musique vraiment mélodique, tout en discours superposé, mais jamais snobinard ni précieux. Alex Kapranos, Anglais issue de l’immigration grecque, avoue sans ambages son ambition de modifier le cours de la musique populaire. Pourquoi pas ?

Franz Ferdinand, « Tonight » (Domino/Pias), 2009

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