La Clau
Eugenio Merino, ou l’artiste au purgatoire

Une œuvre choc, « Starway To Heaven »

En bas, un musulman prie accroupi. Sur ses épaules, un chrétien à genoux dans la même action. Au dessus du dernier, un rabbin debout qui fait de même. Les trois religions monothéistes réunies en une sculpture de Eugénio Merino ont créé l’événement au cœur de la très importante foire de Madrid, ARCOmadrid, en février. Si l’oeuvre a été vendue très rapidement par l’impertinente galerie ADN de Barcelone, les réactions les plus vives ne se sont pas non plus fait attendre. Dans l’ordre: bouche à oreille, foule sur le stand, coups de fil, demandes de retrait, pressions, menaces. L’artiste a au moins réussi à mettre les trois religions d’accord.

Le musulman lit la bible, le chrétien lit le coran

Mais de quoi s’agit-il exactement? Qu’est-ce qui choque les instances religieuses? D’une part, les prieurs sont représentés dans un certain ordre vertical : musulman, chrétien, juif. De cet ordre, l’artiste nous dit qu’il a été dicté par deux raisons: la nature de la pose de la prière dans chaque religion (accroupi, à genoux, debout) et une simple raison plastique, permettant d’empiler les personnages les uns sur les autres. Pourquoi le juif en haut, le musulman en bas, le chrétien au milieu? Merino, d’une simple démarche plastique, suscite des interprétations aux enjeux politiques sensibles. Et l’on sait que les interprétations en disent plus long sur ceux qui les font que sur l’objet décrit lui-même! Par ailleurs, on remarque que c’est le même visage qui est répété trois fois. Comment se peut-il que des religions soi disant si différentes se voient pratiquées par la même personne? Car l’on sait bien qu’il est interdit d’être à la fois musulman, chrétien et juif. Enfin, il faut voir que les livres sont dans le mauvais ordre : le musulman lit la bible, le juif le coran, et le chrétien la torah. On a pour habitude de parler des trois croyances comme des « religions du livre », car elles s’appuient à la base sur des textes communs. L’artiste a concrétisé cela en inversant les recueils, qui comportent en partie les mêmes textes.

Ben Laden mixé à Travolta

Eugenio Merino est né et vit à Madrid. Il est très soutenu par la jeune galerie d’art contemporain, ADN, située à Barcelone. Ses collectionneurs se trouvent partout dans le monde : son œuvre « Starway to Heaven » aurait été acheté par une collection belge. Il faut remarquer que cette oeuvre n’est pas la première de l’artiste dans cette veine. Au contraire, Merino est un artiste critique, qui n’hésite pas à jouer de l’humour pour déranger les consciences politiques. Ainsi, dans « Always » (2007), il représente un jeune Noir, sans doute africain, décharné et mourant de faim, buvant un Coca-cola light. Merino souligne ainsi le scandale d’une moitié de l’humanité qui meurt de faim, quand l’autre est au régime. Plusieurs fois également, Merino n’a pas hésité à mélanger les personnages de Oussama Ben Laden et de John Travolta dans « La fièvre du samedi soir », en un terroriste disco s’amusant d’un pas de danse ou d’on ne sait quoi d’autre. Enfin, plus récemment, lors de la foire Slick à Paris, à l’automne 2009, ADN a montré son portrait de Nicolas Sarkozy en Punching ball.

« L’art n’est pas le seul à prendre des risques »

Merino n’est ni le premier, ni le seul, à jouer de la critique politique et religieuse dans ses sculptures. Parmi les exemples récents, Maurizio Cattelan, l’un des artistes vivants les plus chers, avait attiré la foule avec sa « Nona Ora », représentant le pape Jean Paul II mis au sol par une météorite. L’oeuvre est à présent incluse dans la collection Pinault à Venise. Plus loin de nous, Daumier a pris tous les risques en représentant politiques et religieux sous des traits plus que caricaturaux, aujourd’hui exposés au musée d’Orsay de Paris (il est plaisant de voir à quel point on a oublié les députés ainsi déformés, et comment l’artiste, lui, est resté). Pensons bien sûr aussi à Goya et à ses caprices. Mais l’art plastique n’est pas le seul à prendre des risques : souvenons nous des catholiques traditionalistes s’enchaînant devant les salles de cinéma pour empêcher les projections de « La dernière tentation du Christ » (1988).

Au final

La sculpture « Starway to heaven » a été vendue, et est à présent à l’abri d’une belle collection. L’artiste et le galeriste en sont quittes pour une bonne frayeur, faisant suite aux diverses menaces de mort venues unanimement de toute part. Il est écrit quelque part dans le livre incriminé « rien de nouveau sous le soleil ». Après George Bush et Nicolas Sarkozy, qui sont restés de marbre face à leur sculpture par Merino, les religieux ont eu moins d’humour. Cela aura au moins permis de doter ces présidents d’une qualité qu’on leur reproche souvent de ne pas avoir.

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