La Clau
David Hockney, le pixel, l’iPad et le pinceau

La lumière, le processus

Deux choses sont frappantes dans le type d’exposition qu’a choisi Hockney. La première, c’est que les œuvres sont uniquement représentées sur des écrans : iPhones, iPads, mais aussi écrans TV plus grands. La lumière des écrans, qui plus est dans des salles plongées dans la pénombre, donne à l’image une intensité venue d’elles-mêmes. Si l’idée de peindre la lumière est vieille comme la peinture, celle de pouvoir utiliser la lumière électrique pour en faire une peinture est très nouvelle. La lumière ne vient pas du dessus (de l’éclairage) ou de devant (d’un projecteur) mais bien de derrière ou dedans. Cette lumière, habituellement associée à la télévision ou à l’ordinateur, outils domestiques ou vulgaires, est pour la première fois rapprochée de l’Art avec un grand A. La deuxième chose frappante est que Hockney a choisi de montrer le processus de constructions de ces images : on peut voir les lignes et couleurs composer peu à peu le dessin final. La performance de l’artiste, sa propre mise en scène, font partie de l’exposition elle même. Et Hockney de citer Matisse ou Van Gogh dans toutes les interviews autour de l’exposition, comme pour bien montrer dans quelle filiation il désire, sans fausse modestie, implanter cette démarche numérique.

Nihil Novi sub sole

Car Hockney, très à l’aise avec les medias comme l’étaient Warhol ou Dalí, sait bien que l’enjeu se trouve dans l’impact médiatique d’une telle démarche. La volonté profonde de l’artiste de s’appuyer sur de nouvelles techniques est ancienne. On connaît ses importants travaux avec les Polaroid dans les années 1970. Mais on se souvient moins, semble t-il, de son implication en 1985 dans le développement d’une palette numérique : la quantel paint box. Déjà, l’intérêt de Hockney visait la lumière de l’écran. Trop lourd, pas assez rapide, maniable, c’est donc 25 ans plus tard que l’artiste trouvera grâce à un téléphone l’appareil idéal.

La technique précède l’art

La peinture d’extérieur est née de la création des tubes de peinture, au début du 19e siècle. Le cinéma est né de l’évolution de la photographie. Le cinéma parlant, auquel Chaplin n’a jamais cru, a croisé différentes démarches scientifiques. Là où l’on pourrait penser que l’art et la science ne font pas bon ménage, on constate à l’inverse que c’est souvent la science et ses techniques dérivées, voire même l’industrie (comme c’est ici le cas avec Apple) qui permettent à l’imaginaire des artistes de se développer.

Un nouveau type de multiples

Le problème est alors reposé, vieux comme le monde de l’art : si une œuvre est un multiple, est-ce bien de l’art ? On se l’est demandé pour la gravure, la lithographie, la photographie. Le droit a crû trancher en limitant les éditions pour valider en tant qu’œuvre d’art. Mais l’astuce de Hocnkey est imparable. Il contourne le monde marchand, le droit et les galeries pour, amicalement, envoyer ses images en haute définition à une vingtaine d’amis branchés sur les mêmes appareils. Chaque matin, les amis du vieux peintre reçoivent son travail. Ce sont les seuls. Ce sont des fichiers limités, comme les œuvres d’art multiples. On pourrait les copier, comme on peut copier des photographies ou des gravures. Ni plus, ni moins. La sécurité numérique fait le reste pour ces happy few.

La peinture pas morte

Peindre avec ses mains, proprement, vite, sur un carnet numérique mobile et léger, et diffuser immédiatement au monde entier, qui n’en aurait pas rêvé ? Et Hockney de repartir : Picasso, van Gogh etc. On l’aura bien compris, c’est de peinture et de dessin qu’il s’agit. Et de beaux, de bons portraits et paysages. Peints sur le motif, avec les mains. Apple dans tout ça ? Pas un sou, nous dit on. Le banquier d’Hockney ne se fait pas de souci, pas besoin de la firme à la pomme. L’exposition n’en est que plus crédible. La peinture n’est pas morte, répète à l’envi Mr Hockney. On le lui accordera sans rechigner.

David Hockney : Fleurs fraîches, dessins sur iPhone et iPad.
Jusqu’au 30 janvier 2011.
Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, 3, rue Léonce Reynaud, Paris 16ème.

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