La Clau
Perpignan : ils créent des applis pour Disney et le ministère de la Défense

Boulevard des Pyrénées à Perpignan, un immeuble des années 1920 situé face à la grande église évangélique abrite la société I See U, fondée en 2009 par Julien Gautier. Titulaire d’un master en Propriété intellectuelle, cet ancien collégien d’Argelès-sur-mer, passé par les universités de Perpignan et Montpellier, a travaillé pour le groupe sidérurgique Arcelor avant de regagner les Pyrénées-Orientales à 30 ans, en 2006. Son entreprise unipersonnelle a fait ses armes en matière d’applications pour téléphones portables avant de s’unir au Toulousain Digidust. L’objectif, accompli, était de « partager des solutions pour trouver des clients à Paris », selon le coordinateur d’une équipe de 5 personnes « pour la plupart de Perpignan ». Directeur associé de la maison-mère, Julien Gautier a vécu plusieurs saisons d’Internet depuis l’explosion de la bulle économique, en 2000, jusqu’à la période actuelle, celle de la « poule aux oeufs d’or » . Les pieds sur un carrelage des années folles, les mains sur un clavier dernier cri, il raconte : « nous avons travaillé pour le ministère de la Défense et pour Disney, nous avons développé les applications de l’émission Rendez-vous en terre inconnue de France 2, ou encore pour VeryChic, numéro 2 de la vente privée de nuits d’hôtel en France ». Digidust signe aussi des applis pour la mairie de Paris, Top Chef, United Realty International, la Marine Nationale, le Stade de France et Toulouse Métropole. Ce portefeuille prouve aux clients « que nous ne sommes pas des illuminés qui passent leurs journées à chanter en tongs, comme certains ont tendance à le penser… C’est un exemple vécu ! ».

« Être à Perpignan, c’est limite suspect »

Hormis les applis des festivals Les Déferlantes et Electrobeach, ou de l’entreprise perpignanaise France Edition Multimédia, les commandes de Digidust sont extérieures. « Lorsqu’on dit à un client parisien que l’on est à Perpignan, cela surprend, car la plupart des entreprises sont là-bas. On n’a pas droit à l’erreur. Être à l’autre bout de la France, c’est limite suspect », ose l’entrepreneur, fier « d’avoir participé à la création d’emplois ». Preuve vivante que les nouvelles technologies déjouent la géographie, cet acteur économique discret, fort de 170 applis réalisées, avoue « c’est plus facile qu’il y a 5 ans, car nous avons des références solides ».

En Inde, 1 dollar de l’heure

Le tissu d’entreprises de production d’applications, certaines spécialisées, d’autres proposant cette activité parmi d’autres, approche déjà la saturation. La concurrence est européenne « mais aussi mondiale », avec le cas de l’Inde, où l’on développe des applis « pour 1 dollar de l’heure ! », s’offusque Julien Gautier. Le manager réfute le recours aux sociétés “off-shore”, souvent employé par certains agences parisiennes, et revendique un « contrôle intégral de la qualité ». Mais la multiplication des applis est à rapprocher d’une jungle, et les « subterfuges pour atteindre les internautes » s’imposent, par un volet de marketing et de communication. S’ajoute un « ré-engagement » consistant à remotiver l’usager une fois l’appli téléchargée, car l’attention est détournée par des sollicitations changeantes et multiples, à l’image du jeu Candy Crush.

« Le grand public n’a pas encore tout compris aux applis »

Les consommateurs d’applications ne sont pas toujours au fait du « travail obscur », comme le nomme par Julien Gautier, qui avertit : « sans vouloir offenser personne, je pense que le grand public n’a pas encore tout compris aux applis ». L’entrepreneur perpignanais ajoute « il faut aussi les adapter aux environnements mobiles » et cite l’application de la station de Port-Leucate, conçue par son équipe : « un touriste hollandais, qui aura téléchargé cette appli chez lui, n’en profitera pas une fois sur place, faute de connexion Internet ». Digidust prévoit cette situation, en rendant disponibles les bonnes adresses de la station, hors-connexion, pour être « guidé intelligemment ». Les clients ne remarquent pas ce détail important, sans lequel un produit sympathique ne fonctionnerait pas. Cette option, parmi d’autres développées par les concurrents, montre l’existence d’un univers technologique complexe, qui évolue sans cesse, pour des prix comparables « à ceux des oeuvres d’art », s’amuse l’Argelésien. Celui-ci refuse les « applications pré-packagées », modelées selon le souhait du client, et défend le sur-mesure intégral, pour « moins de 10.000 euros, jusqu’à plusieurs milliers ».

Dans le monde d’Internet, où une année semble compter pour trois, le boum de 2010 est déjà loin. A cette époque, entreprises et collectivités locales souhaitaient absolument leurs applis, parfois lâchées dans la nature. Le marché s’est affiné, il s’est densifié, et le client de 2015 exige des fonctionnalités précises, car le concept est mieux maîtrisé.

Entretien Esteve Valls

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