La Clau
Logistique: Saint-Charles et Vilamalla, adversaires ou complémentaires ?

Analyse effectuée par le think tank Opencat, fondé à Perpignan en 2010.

Le 19 octobre 2011, la Commission Européenne officialisait la priorisation du Corridor Ferroviaire Méditerranéen au sein du réseau de transport transeuropéen, réalisation qui garantira, dans la prochaine décennie, le développement du trafic du port de Barcelone. Le 7 novembre, les candidats de la coalition Convergence et Union (CiU) aux élections législatives espagnoles, Jordi Xuclà et Pere Macias, affirmaient vouloir transformer la région de Girona en grande « plateforme logistique du Nord de l’Espagne ». CiU étant à la tête du gouvernement catalan, cette intention rend plausible un fort développement économique des territoires de l’hinterland barcelonais autour du secteur de la logistique. Pour autant, la proximité géographique des deux plateformes logistiques majeures sur l’axe Perpignan-Girona, c’est-à-dire Saint-Charles International, à Perpignan, et Logis Empordà, aux abords de Figueres, suscite un débat, à la veille d’une mini-révolution.

Rééquilibrage européen au profit de l’Europe du Sud et de Barcelone

Parmi les plus de 18 millions de conteneurs de marchandises échangés annuellement par voie maritime entre l’Europe et l’Asie, 75 % trouvent leur point d’entrée par les ports de l’Europe du Nord (Rotterdam, Anvers, Hamburg). Seulement 25 % pénètrent le continent par les ports du Sud (Gênes, Barcelona, Marseille), avec une économie de trois à quatre jours de navigation. Cette disproportion est expliquée par la localisation des trois ports du Nord au sein de la très puissante Europe Rhénane, ainsi qu’un réseau de transport très efficace par voie routière, fluviale et ferroviaire. Mais la nécessité de développement durable et d’économies financières, la saturation des réseaux nord-européens ou l’industrialisation croissante du Nord de l’Afrique sont autant d’éléments à même de rééquilibrer les flux, au profit de l’Europe du Sud. À la seule condition de la mise en place d’infrastructures performantes et compétitives. Ainsi, grâce à la volonté établie depuis Bruxelles de soutenir le Corridor Méditerranéen, Barcelone et son hinterland peuvent constituer une puissante plateforme logistique euroméditerranéene depuis laquelle les grands distributeurs, les opérateurs logistiques internationaux, et les entreprises multinationales, distribueraient leurs produits sur les marchés européens et méditerranéens. Elle octroiera également une forte compétitivité aux entreprises du territoire. Les régions de Girona, Figueres et Perpignan se trouvent déjà au cœur de l’axe de transport vers le centre de l’Europe : l’Observatoire franco-espagnol des Trafics dans les Pyrénées (OTP) prévoit à l’horizon 2026 un doublement du volume de marchandises traversant cet espace transfrontalier par voie routière (de 47,6 millions de tonnes en 2004 à 100,9 MTN en 2026) et quasiment un décuplement par voie ferroviaire (de 2,6 MTN à 23,7 MTN), 25 % du trafic étant absorbé par ce biais.

Fluidifier les flux : un enjeu majeur pour la logistique euroméditerranéenne

À l’horizon 2026, les principales infrastructures de transport actuellement en projet sur le Corridor Méditerranéen devraient être achevées, pour absorber un flux de marchandises en croissance permanente, à transporter vers l’ensemble des marchés européens depuis le front portuaire catalan et le Sud de la péninsule ibérique. Pour la voie routière, la portion de la route européenne 15 jusqu’aux carrefours de Narbonne, Nîmes ou Lyon, autoroutes A9 côté français et AP7 côté espagnol, devrait comporter 3 voies sur l’intégralité de son parcours. Cependant, des doutes subsistent quant au passage frontalier La Jonquera-Le Boulou, qui pourrait constituer un important goulet d’étranglement, spécifiquement en période estivale, car il présente deux péages à quelques kilomètres de distance. Au niveau du rail, clé de la compétitivité du Corridor Méditerranéen pour prolonger la « banane bleue », axe industriel vers le Sud-Ouest européen, la Ligne à Grande Vitesse (LGV) à deux voies mixtes devrait être opérationnelle depuis València et surtout depuis Barcelone, vers Nîmes et Lyon, accolée à la double voie classique, dont l’écartement en Espagne adopterait le standard européen. En 2011, l’objectif affiché par le port de Barcelone est de transporter 25 % des flux par ce moyen, tandis qu’une étude de l’Institut Cerdà sis à Barcelone, publiée en octobre 2010, évalue pour 2026 la circulation quotidienne par la LGV de 15 à 25 rames de marchandises à haute valeur ajoutée, la ligne classique absorbant 180 à 220 circulations mixtes par jour.

Sur l’axe Figueres-Girona, des infrastructures logistiques projetées par Barcelone

Le gouvernement catalan anticipe fortement le développement de la façade portuaire catalane et accompagne ainsi l’expansion de sa chaîne logistique, pour en potentialiser la compétitivité : si les coûts de passage portuaire à Barcelone sont parmi les plus faibles de l’Union Européenne, l’attractivité est désormais déterminée par la qualité des infrastructures environnantes. Son outil est la société publique CIMALSA (Centrals i Infraestructures per a la Mobilitat i les Activitats Logístiques SAU), créée en 1992 dans le but d’assurer la gestion intégrale des infrastructures. En ce qui concerne le trafic transeuropéen, deux zones logistiques ont été lancées, d’un côté autour de l’aéroport de Girona, de l’autre sur les périmètres communaux de Vilamalla et el Far d’Empordà, au Sud de Figueres. Concrètement, le « nœud logistique international» de la région de Girona est constitué d’un côté par une zone entourant l’aéroport de Girona, constituée d’une plateforme de traitement logistique de 22,5 ha, le CIM La Selva, et d’un parc aéroportuaire d’une surface de 33.992 m2 accueillant des bureaux, un hôtel et un centre de conventions. Anticipant son développement, Girona y prévoit déjà une 4ème voie sur l’autoroute AP7, celle-ci devenant une rocade de la ville, un bypass (boucle ferroviaire) connecté aux deux lignes, classique et LGV, et l’implantation d’une gare TGV connectée à l’aéroport. L’autre partie de ce pôle sera constituée du centre logistique de 72,7 hectares Logis Empordà, à Vilamalla, couplé à la plateforme multimodale du Far d’Empordà, elle-même reliée aux deux lignes par un anneau ferroviaire, à l’Est de Figueres, à l’horizon 2016.

Développement flou du patrimoine et du savoir-faire logistique du Roussillon

Perpignan et le Roussillon possèdent depuis 1971 une importante structure logistique, le Marché International Saint-Charles, aujourd’hui premier centre européen d’éclatement de fruits et légumes, qui regroupe 560 entreprises et 9000 emplois. Le Pôle Économique Saint-Charles (PESC) regroupe ce Marché doté de 220 entreprises spécialisées dans l’éclatement, le transport et la logistique, d’un centre routier, et d’un terminal ferroviaire et de transport combiné route/rail. Plus largement, il fait partie depuis 1997 de la Plateforme Multimodale Pyrénées Méditerranée (MP2), syndicat mixte de gestion de l’ensemble des infrastructures logistiques du Roussillon. Parmi celles-ci, le terminal logistique du Boulou, au Sud de Perpignan, regroupe sur 65 hectares un total de 12 opérateurs logistiques privés, autour d’une gare de fret placée sur la ligne LGV. La société de transport combiné Lorry-Rail, créatrice de l’autoroute ferroviaire Le Boulou – Luxembourg, avec escale à Lyon et Dijon, fait partie de ce pool. D’autre part, a été lancé sur la commune de Rivesaltes l’Espace Entreprises Méditerranée, dont 100 ha sont déjà dédiés aux entreprises logistiques et de transport combiné, 200 ha de réserves foncières étant déjà planifiés : cet espace est placé à 5 min de l’aéroport de Perpignan, à proximité de l’échangeur autoroutier de l’A9, et, dans le futur, sur les deux lignes de chemin de fer, LGV et classique. Pour autant, malgré la présence ces trois entités majeures sur l’axe logistique euroméditerranéen apparaît un développement flou, autour d’une gouvernance délicate, à l’inverse au des stratégies sud-catalanes. Certaines incertitudes existent au sujet de l’avenir des infrastructures routières ou ferroviaires, telles le réseau autoroutier autour de Perpignan, la connexion LGV de la ligne Perpignan – Nîmes, et l’implantation des gares.

Une complémentarité à inventer, une gouvernance conjointe à installer

A l’horizon 2026, la croissance exponentielle du trafic de marchandises sur le couloir méditerranéen, propulsée par le dynamisme du port de Barcelone, et plus loin València, promet une féroce bataille entre centres logistiques : trois plateformes logistiques et de transport combiné sont déjà prévues sur le territoire sud-catalan. Il s’agit du terminal du Prat, à proximité immédiate du port de Barcelone, d’un autre centre, CIM el Camp, situé plus au Sud, dans le secteur de Tarragona, et de la plateforme de Vilamalla / El Far d’Empordà, qui s’ajouteront à la plateforme du Roussillon. Au-delà, les plateformes logistiques de Toulouse et de Lyon sont déjà partiellement reliées au port de Barcelone, à l’exemple du projet Barcelyon Express, ligne ferroviaire de fret directe entre le port et la plateforme logistique de Lyon-Vénissieux, opérationnelle depuis décembre 2010. Dans ce contexte, la concurrence à venir entre plateformes situées à 50 km de distance, Saint-Charles et Vilamalla, incite à la coopération. Avec trois centres consacrés à l’implantation d’entreprises logistiques accolés à des terminaux de transport combiné, Vilamalla / El Far d’Empordà, Le Boulou et Perpignan Saint-Charles, éventuellement un quatrième centre avec Rivesaltes, un aéroport international à Girona et une bonne liaison routière et ferroviaire, une plateforme logistique coordonnée Perpignan-Figueres-Girona serait à même d’être compétitive, par effet de masse, face aux mastodontes du secteur. L’appartenance à deux États différents constituerait par ailleurs un atout majeur quant à sa compétitivité et aux possibilités d’action de cet ensemble. La future société à créer entre CIMALSA et le port de Barcelone, désormais concrétisée par un principe de partenariat pour le développement d’activités de soutien aux activités portuaires sur le site de Logis Empordà, pourrait être intégrée par MP2. Ce défi serait le premier pas vers la gouvernance coordonnée d’une grande plateforme logistique du Nord de la Catalogne.

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