La Clau
Jordi Pere Cerdà, mort d’un écrivain dinosaure

Le dernier grand poète du Pays Catalan, Jordi Pere Cerdà, s’est éteint dimanche 11 septembre, à l’âge de 91 ans, avant d’être discrètement incinéré ce mardi à Canet. Né sous l’identité d’Antoine Cayrol, en 1920 à Saillagouse, dans la région de la Haute Cerdagne, l’écrivain dramaturge habitait la moitié de l’année le quartier Saint-Assiscle de Perpignan. Il était le doyen des plumes catalanophones du territoire, travaillant une langue naturelle, en dehors des revendications apparues à la fin du XXe siècle. Acteur de dynamisation culturelle, Jordi Pere Cerdà était parvenu à susciter l’attention des sphères intellectuelles de Barcelone dès les années 1950, avant une consécration, en 1986, consécutive au montage de sa pièce « Quatre dones i el sol (Quatre femmes et le soleil) dans la capitale catalane. Prix d’honneur des lettres catalanes en 1985, récompensé par la distinction Creu de Sant Jordi du gouvernement catalan en 1996, il laisse une oeuvre empreinte de peinture sociale, parfois d’amour, où a pu planer, par endroits, l’ombre de son engagement auprès du Parti communiste. Il s’agit aussi d’un parcours lettré issu d’une ancienne civilisation pastorale, d’une société révolue, fondée sur l’entraide de ceux qui étaient épargnés par les tumultes urbains. Son physique robuste, un temps employé pour l’exercice du métier de boucher-charculier, et une fine lecture sociologique des réalités montantes, au coeur d’une intelligentsia nord-catalane, composaient une personnalité rare, qui appartenait à un autre temps.

Une interview définitive en 2003

Antoine Cayrol s’était livré lors d’une interview définitive en décembre 2003, dans laquelle il évoquait notamment la dure condition des ouvriers agricoles des années 1920, jusqu’à la moitié des années 1935, hébergés dans la maison familiale. Ceux-ci dormaient avec les bêtes, « et nous trouvions cela normal, et ils trouvaient cela normal. c’est ce qu’il restait du XIXe siècle« . Plaquant sa vision du monde sur Perpignan, ou encore sur l’islam, le poète avait touché l’universel : « nous vivons encore la décolonisation, mais nous sommes parvenus à le nier (…) le « bon » n’est pas comme nous le voulons. Il nous revient de voir les choses du monde ». Au sujet de la langue catalane, il déclarait « lorsque j’ai voulu faire du théâtre, aucun garçon ni aucune fille n’aurait pu faire du théâtre en français ». Jordi Pere Cerdà, bien qu’engagé dans les solidarités forcées par la Seconde Guerre mondiale, n’utilisait pas ce passage personnel à des fins de marketing personnel. Sous le régime de Vichy, il avait monté une troupe de théâtre et adopté son nom de scène, tout en entrant dans la résistance. En 1960, il avait ouvert une librairie à Perpignan, qu’il avait animée jusqu’en 1976, avant prise de relais progressivement assurée par la Librairie Catalane. A l’identique du chanteur Jordi Barre, par lequel un certain Pays Catalan a rendu l’âme à la fin de l’hiver, sa disparition tourne avec force la page historique d’une culture catalane de continuité en territoire français. Jusqu’à sa mort, une écrasante majorité des habitants de sa terre, devenue touristique, n’avaient pas eu connaissance de sa vie.

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