La Clau
Emil Nolde (1867-1956) au Musée Fabre de Montpellier

Il y a une seule oeuvre d’Emil Nolde (1867-1956) dans les collections publiques françaises, à Beaubourg, à Paris. Cet Allemand est méconnu dans l’hexagone, exactement à l’inverse du retentissement de son travail dans le monde germanique mais également anglo-saxon, autant dire le reste du monde occidental. Pourtant, à travers le courant “expressionniste” qu’il incarne le mieux, sans avoir fondé quelque école que ce soit, c’est une bonne partie de la peinture du vingtième siècle qu’il a influencée. Pour simplifier, la France a Matisse, l’Allemagne Nolde. Il n’y a aucun lien entre le musée Fabre de Montpellier et cet artiste qui n’est jamais passé dans cette belle ville, mais il faut saluer cette initiative, après l’incroyable rétrospective Courbet (250.000 visiteurs) et avant celle de Mucha (qui au vu de ses liens avec la ville aurait dû avoir lieu à Perpignan) de réaliser cette incroyable événement, en partenariat avec le Grand Palais parisien.

L’exposition, à l’astucieuse organisation chronologique aux faux airs thématiques, s’ouvre à un Nolde inédit : celui qui, après avoir étudié la gravure sur bois et le dessin d’académie, réalise un peu par hasard des aquarelles pour cartes postales, montrant les Alpes Suisses sous des dehors grotesques et personnifiés. Rien à voir. Car ce n’est qu’au tournant des années 1904-1906 que la méthode Nolde se met en place, sous la double influence de Van Gogh et de Gauguin : couleurs pures, absence de perspective et d’ombres, personnages à la limite de la caricature, au moment même où, dans différents lieux d’Europe, des recherches convergent sans le savoir : Saint-Tropez, Collioure, Berlin, Vienne, Londres… Des différents –ismes qui en résultèrent dans les récits d’historiens ne retenons que la farouche volonté de liberté et d’aller au coeur même de la peinture.

Des centaines d’aquarelles peintes en cachette

Après avoir participé à plusieurs expositions sécessionnistes, Nolde prendra seul le chemin de la singularité. Formé à l’académie Julian de Paris (comme Matisse) il ne trouve (comme Matisse) son identité picturale que vers la quarantaine. Mais à la différence du maître du Nord (de la France), il ne la quittera plus, n’amenant que d’infimes variations de méthode. De cette exposition, la plus grande surprise vient des peintures religieuses, dont un spectaculaire retable de six mètres, comme un cycle sur la vie du Christ. Ailleurs, on voit le “fils de Dieu” dépeint dans une étonnante familiarité, voire sensualité. Parfois brun et frisé, ce Christ là n’a rien de l’éphèbe aux yeux bleus que la peinture germanique représentait auparavant ! Cette approche vaudra certains ennuis au peintre, notamment sous le régime nazi.

Pourtant, la force de cette exposition est de ne pas éluder la question de l’éphémère adhésion de Nolde à ce régime, jusqu’en 1937 : par opportunisme plus que par conviction, Nolde y voit un élan pour l’art allemand. Lorsque, refusant de céder sur sa peinture, le 3ème Reich le classa dans l’art dégénéré, Nolde ne changea pourtant rien. Interdit de peindre pendant plusieurs années, il réalisa en cachette des centaines d’aquarelles sur de minuscules papiers confiés à la sauvette par un industriel collectionneur éclairé, et dont celles présentées sont un régal.

Si l’influence de Van Gogh et Gauguin plane, voilà pourtant une peinture radicale et peu commune au visiteur de culture française. L’expressionnisme, courant majeur de la peinture allemande, se présente sous les dehors d’une fausse simplicité, voire naïveté. Cette peinture aura pourtant été, comme avec Beckmann ou Otto Muehl, celle de véritables érudits à la recherche de la force directe. L’exposition, parfaitement documentée (catalogue, audio-guide, vidéos) est un modèle du genre. Le musée, bulle de plaisir et de culture dans la ville languedocienne, agrémenté de la cafétéria/restaurant des frères Pourcel, attire des centaines de milliers de visiteurs grâce à l’innovation, la curiosité historique et l’absence de complexe face aux capitales. Une incroyable découverte renouvelée, si proche (si loin), de Perpignan.

Emil Nolde (1967 – 1956), jusqu’au 24 mai 2009. Musée Fabre, Montpellier.

http://museefabre.montpellier-agglo.com

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